Les coûts des guerres commerciales

Le 19 juin 2018 à 15h36

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

GENÈVE- "Quand les éléphants se battent, c’est l'herbe qui souffre." Ce vieux proverbe africain s’applique aux guerres commerciales généralisées: si les grandes économies entrent en conflit, les pays en développement seront parmi les plus durement touchés.

Le 1er juin, l'administration américaine a imposé des tarifs sur les importations d’acier et d’aluminium, respectivement de 25% et 10%. Les prélèvements affecteront non seulement la Chine, mais aussi le Canada, le Mexique et les pays de l'Union européenne. Comme Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du commerce, a observé lors d'un événement organisé récemment par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced), "nous ne sommes pas dans une guerre commerciale, mais nous pourrions l’être". C’est une situation qui devrait préoccuper tout le monde.

L’histoire nous enseigne que personne ne "gagne" dans une guerre commerciale. Les hausses tarifaires des grands partenaires commerciaux représentent un renversement des efforts depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour éliminer les obstacles au commerce et faciliter le commerce mondial. Depuis l’entrée en vigueur de l'Accord général sur tarifs douaniers et le commerce en 1947, la valeur moyenne des tarifs en vigueur dans le monde a diminué de 85%. Ce n’est pas un hasard; au contraire, c’est le résultat de la coopération multilatérale et de huit cycles de négociations commerciales mondiales, d'abord dans le cadre du GATT, puis sous l’égide de son successeur, l'Organisation mondiale du commerce.

Les réductions tarifaires, ainsi que les progrès technologiques, ont conduit à l’extraordinaire expansion du commerce mondial dont nous avons été témoins au cours de nos seules vies. En 1960, la part du commerce dans le PIB mondial se situait à 24%; aujourd'hui, elle est proche de 60%.

L'expansion du commerce a alimenté la croissance économique, créé des emplois et augmenté les revenus des ménages dans le monde entier. C’est un facteur clé de la montée des pays du sud, dont des dizaines de pays en développement ont connu une forte croissance économique et des changements sociaux positifs. En outre, elle a rendu possible l'une des réalisations les plus remarquables de l'histoire humaine: la sortie d'un milliard de personnes de la pauvreté en l'espace de deux décennies.

Pourtant, l'expansion du commerce n'a pas profité à tous de manière égale. Et, dans certains cas, elle a entraîné une dégradation de l'environnement et un déplacement économique, qui a donné la sensation à beaucoup de gens d’être laissés pour compte. Ce sont des questions graves et légitimes qui doivent être solutionnées. Mais l'unilatéralisme n'est pas la façon de le faire. Les défis mondiaux exigent des solutions mondiales.

Malheureusement, les actions commerciales actuelles laissent présager une situation où tout le monde perdra. Dans une guerre commerciale, les profits des entreprises dans de nombreux secteurs chuteront et les travailleurs perdront leur emploi. Les gouvernements perdront des revenus et les consommateurs auront un plus faible choix de produits disponibles. De plus, quel que soit l’endroit où ils se trouvent, les entreprises, les gouvernements et les ménages devront faire face à des coûts plus élevés.

Pire encore, une guerre commerciale mondiale pourrait mettre en danger le système commercial multilatéral lui-même. Il en résulterait sans doute des augmentations de tarifs supérieures à tout ce que nous avons vu dans l'histoire récente. Les recherches menées par la Cnuced montrent que les tarifs moyens pourraient augmenter depuis leur niveau négligeable jusqu’à atteindre 30% pour les exportateurs américains, 35% pour les exportateurs européens et 40% pour les Chinois. Par conséquent, même si les "éléphants" ont un poids économique suffisant pour résister à une guerre commerciale, ils n’en bénéficieraient aucunement.

Et, bien sûr, les pays en développement qui n’ont joué aucun rôle dans le déclenchement du conflit, seraient encore moins en mesure de le supporter. En moyenne, les tarifs appliqués sur les exportations des pays en développement pourraient passer de 3% à 37%. Cependant, alors que les tarifs moyens affectant des pays tels que le Nigeria et la Zambie ne devraient probablement pas dépasser 10%, ceux imposés au Mexique pourraient atteindre 60%. De même, des pays comme le Costa Rica, l'Ethiopie, le Sri Lanka, le Bangladesh et la Turquie pourraient faire face à des tarifs moyens de 40 à 50%.

De plus, une guerre commerciale porterait un coup sévère aux pays les plus pauvres du monde, et à l'espoir de doubler d'ici 2020 "la part des pays les moins développés dans les exportations mondiales" dans le cadre des objectifs de développement durable (ODD). Elle compromettrait la reprise économique fragile observée depuis la crise financière mondiale il y a une dizaine d'années, freinant la croissance et le développement dans le monde entier. Enfin, elle limiterait la mesure dans laquelle le commerce pourrait être utilisé pour faire avancer les objectifs mondiaux.

Le préjudice causé par une guerre commerciale généralisée se ferait sentir bien au-delà du domaine du commerce international. Le climat commercial actuel reflète une tendance mondiale inquiétante vers l'unilatéralisme nationaliste. Les pays qui ont contribué à remodeler notre monde pour le mieux au moyen du commerce se détournent aujourd’hui de la coopération internationale ; ce changement pourrait avoir des conséquences graves dans d'autres domaines tels que les efforts mondiaux pour lutter contre le changement climatique et assurer la paix et la prospérité pour tous. La meilleure façon de gagner une guerre commerciale est de l’éviter purement et simplement.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

© Project Syndicate 1995–2018
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