Les dures leçons de gouvernance apportées par l’année 2020

Le 21 janvier 2021 à 13h54

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

OXFORD – Juste avant la pandémie, un groupe d’institutions et de grandes fondations, le Global Health Security Index (GHSI), avait publié un classement des pays en fonction de leurs capacités à prévenir, déceler et informer des cas d’infection, ainsi que de répondre rapidement à l’apparition d’une maladie. "Sans surprise, commentait alors un journaliste de données travaillant pour le portail Statista, les pays à haut revenu ont enregistré de meilleurs scores dans l’indice". Au sommet de la liste des "pays les mieux préparés à la lutte contre une pandémie" figuraient les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

Un an plus tard, ces classements semblent une mauvaise farce. Selon une étude publiée en septembre: "Les dix pays les plus touchés par le Covid-19, si l’on considère le nombre de morts par million d’habitants, figurent tous parmi les vingt pays les mieux notés par l’indice mondial de sécurité sanitaire."

Certes, il est trop tôt pour affirmer l’existence d’un modèle adéquat de lutte contre la pandémie. De nouvelles vagues épidémiques s’abattent sur des pays qui pensaient avoir vaincu le virus. Mais il est clair que certains gouvernements ont déployé leurs ressources, leurs compétences et leurs institutions de manière beaucoup plus efficace que les autres. Trois pays parmi les moins bien classés du GHSI s’avèrent particulièrement intéressants.

L'exemple réussi du Sénégal 

Considérons le Sénégal. Avec une population légèrement supérieure à 15 millions et un PIB par habitant se situant aux alentours de 1.500 dollars, il est classé à la 95e place dans le GHSI, avec une note de 37,9 (les Etats-Unis, qui obtiennent la première place, ont obtenu la note de 83,5). Pourtant, en janvier 2020, lorsque l’Organisation mondiale de la santé a déclaré une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), le Sénégal s’y préparait déjà.

Lorsque le Sénégal a détecté son premier cas de Covid-19, le 2 mars, il a déployé des unités mobiles de dépistage (avec résultat des tests dans les vingt-quatre heures), mis en place un système de traçage des cas contact, et installé des lieux d’isolement dans les cliniques, les hôpitaux et les hôtels. Le gouvernement a aussi interdit immédiatement les rassemblements publics, imposé un couvre-feu nocturne, restreint les déplacements intérieurs et suspendu les lignes aériennes internationales. En avril, les masques de protection ont été déclarés obligatoires dans tous les espaces publics. Au mois d’octobre, le pays avait enregistré 15.000 cas et 300 morts. 

Bien sûr, tour n’est pas allé sans heurts. Des émeutes en juin ont conduit à un allègement des restrictions. Mais le pays s’est rapidement adapté. Son Centre des opérations d’urgence sanitaire a maintenu sa politique d’ouverture et de transparence. En passant par les médias, les groupes religieux, les dirigeants des communautés ou des villages, ou d’autres canaux encore, il a maintenu l’opinion publique informée de l’évolution de la pandémie, ayant appris l’importance d’une communication directe et claire lors de l’épidémie d’Ebola en 2013-2016.

Un autre pays s’est avéré avoir dépassé les attentes, le Sri Lanka. Avec une population de 21,5 millions, il était classé en 120e position par l’indice GHSI, mais il a réagi rapidement aux premières notifications de cas d’infection par le virus. Mettant l’armée à contribution, le gouvernement a lancé des tests rapides mis au point localement (avec résultats dans les vingt-quatre heures) et une campagne de dépistage aléatoire grâce à des tests par réaction de polymérisation en chaîne (PCR) dans les zones densément peuplées. Il a mis en place un régime strict de traçage des cas contact, fourni de l’aide aux patients mis à l’isolement, rendu obligatoire le port du masque en public, restreint les entrées dans le pays, dépisté les voyageurs et mis en place un couvre-feu dans toute l’île. En outre, comme au Sénégal, le gouvernement sri-lankais a lancé une campagne massive de communication. En octobre 2020, le pays n’avait rapporté que 13 décès dus au Covid-19.

Un troisième pays s’illustre, le Vietnam. Avec une population de 95 millions et un système de soins de santé sous-développé, il était classé à la 50e place par le GHSI, mais il a réagi à une vitesse impressionnante aux premières informations concernant le virus dans la Chine voisine. Peu après avoir enregistré ses premiers cas, il avait préparé des laboratoires et des tests de dépistage, mais aussi imposé des restrictions concernant tous les visiteurs venant de Chine. Ces mesures furent suivies de campagnes de dépistage rapide, d’un traçage systématique des cas contact, de l’hospitalisation de toutes les personnes infectées par le virus et de la mise en isolement de tous les cas contact avérés ou susceptibles de l’être. En octobre, le pays n’avait rapporté que 35 décès.

L'échec des Etats-Unis et du Royaume-Uni 

Si ces pays pauvres ont si bien réagi, pourquoi les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont-ils échoué? Leurs récentes expériences des maladies contagieuses ont évidemment joué un rôle dans le niveau de préparation des trois pays cités. Tout comme le Sénégal avait connu en 2013-2016 l’épidémie d’Ebola, le Vietnam et le Sri Lanka avaient tiré les leçons du Sras, en 2003, et du SRMO (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient), en 2012. Chacun d’entre eux avait créé une infrastructure capable de prendre en charge l’apparition d’une nouvelle maladie (et il est possible qu’une partie de la population ait développé une immunité aux coronavirus).

Mais l’histoire n’explique pas à elle seule pourquoi ces trois pays ont fait beaucoup mieux que les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Pourquoi ces deux pays riches n’ont-ils pas lancé des campagnes de dépistage avec des résultats rapides, n’ont-ils pas tracé les cas contacts et mis en place des procédures d’isolement pour les cas suspectés? Pourquoi n’ont-ils pas imposé le port du masque, restreint les déplacements et les rassemblements? Longtemps après que les données avaient montré l’efficacité de ces mesures, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont continué de tergiverser.

Il y a là de profondes leçons de gouvernance. Au Sénégal, au Sri Lanka et au Vietnam, le gouvernement s’est rassemblé derrière une stratégie, s’est attaché à mener une campagne de communication claire et audible, et s’est adjoint le partenariat des réseaux locaux. En revanche, ni les Etats-Unis ni le Royaume-Uni ne se sont montrés capables de mobiliser leurs institutions au service d’une stratégie nationale cohérente. Au lieu de cela, les gouvernements de ces deux pays se sont laissés entraîner dans les querelles divisaient les élites.

Des stratégies tournées vers le gain plutôt que vers l’efficacité

Pour ce qui concerne la stratégie, les divisions au sein du parti républicain aux Etats-Unis et du parti conservateur au Royaume-Uni ont conduit leurs chefs respectifs à osciller d’une méthode à une autre. Les experts qui les conseillaient se faisaient concurrence pour capter l’attention et affirmer leur influence, promouvaient leurs propres modèles et leurs propres études, manquant souvent de l’humilité nécessaire pour demander conseil aux personnels en première ligne et aux autres pays dont l’expérience était digne d’être prise en considération.

Pour ce qui concerne la délivrance et le suivi des tests, les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) aux Etats-Unis et l’Agence de santé publique (PHE) au Royaume-Uni ont, les uns comme l’autre, fait valoir qu’ils étaient les seuls qui puissent mettre en place un système de contrôle et de dépistage en raison de leur compétence et de leur autorité. Dans les deux pays, cette méthode a échoué, alors qu’une stratégie plus collaborative a fonctionné dans les autres. Plutôt que de construire des réseaux locaux pour le traçage des cas contact (qui auraient été utiles dans l’éventualité de nouvelles pandémies), le gouvernement du Royaume-Uni a externalisé la tâche pour la confier à un géant de la prestation de services, Serco, et à une société nommée Sitel. En ont résulté un centre d’appels national et un système de repérage et de traçage qui ont très largement échoué à faire aussi bien que les équipes locales de protection sanitaire dans des pays mieux inspirés.

Finalement, le Covid-19 a mis en évidence les défauts des stratégies tournées vers des gains de popularité politique plutôt que vers l’efficacité de la lutte contre la pandémie. Il a également montré la folie qu’il y avait à tenter de gouverner au moyen d’un commandement centralisé plutôt qu’en recourant à la collaboration et à la coopération. Les services du Premier ministre du Royaume-Uni ont fini par entrer en conflit avec le maire de Manchester et le président des Etats-Unis avec la gouverneure du Michigan. Les moyens n’ont pas afflué du centre vers les périphéries où ils faisaient le plus défaut.

La pandémie a révélé un besoin urgent de construire un tissu conjonctif au sein des gouvernements mais aussi entre les institutions nationales et régionales ou locales aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni. C’est un élément essentiel non seulement dans la lutte contre la pandémie mais aussi pour garantir le succès de la reprise après la pandémie.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2021
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