L’Europe s’en réchappe

Le 29 juillet 2020 à 13h48

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

LONDRES – La crise du Covid-19 porte l’union monétaire à la limite de la rupture. La souffrance est partagée, mais certains pays ont été frappés plus durement que les autres. L’Italie, la France et l’Espagne comptent le plus grand nombre de morts et connaissent les plus fortes récessions. Et l’Europe du sud, dépendante du tourisme, semble se diriger vers une reprise particulièrement lente de son activité.

Mais il y a pire: si la dette publique s’envole dans toute la zone euro, elle atteint des niveaux dangereusement élevés dans de nombreux pays du sud, plus particulièrement en Italie. La réponse à la pandémie, au début, a profondément froissé les Italiens, qui ont eu l’impression (non sans quelque raison) que les Européens du nord avaient été plus prompts à leur attribuer la responsabilité de leurs maux qu’à leur venir en aide. L’opinion courante italienne, pourtant favorable à l’Europe, à commencer par le président Sergio Mattarella, s’est sentie politiquement exclue de l’Union au plus profond de la crise.

L'Italie lourdement touchée 

Il faut porter au crédit de la chancelière allemande, Angela Merkel, d’avoir compris la gravité de la situation. En mai, elle a proposé, avec le président français, Emmanuel Macron, un fonds de relance de 500 milliards financé par une dette commune européenne et destiné à venir en aide aux régions aux secteurs les plus durement frappés. La Commission européenne s’est alors appuyée sur la proposition franco-allemande, portant l’objectif final à 750 milliards d’euros, en ajoutant 200 milliards de prêts européens aux 500 milliards de transferts.

L’accord conclu aux petites heures du 21 juillet par des dirigeants européens aux yeux brouillés est à plus d’un titre bienvenu. Si un accord, d’une manière ou d’une autre ne fut jamais à exclure, on pouvait craindre que les négociations ne traînent tout au long de l’année, creusant les divisions internes de l’Union et détournant des autres priorités l’attention des responsables politiques. Qu’un accord ait été trouvé avant la fermeture estivale, en août, des institutions européennes constitue en soi un succès.

Mieux encore, l’accord conserve de nombreux éléments positifs de la proposition Merkel-Macron, notamment les 390 milliards d’euros de transferts, assortis de peu de conditions. Quatre pays riches d’Europe du nord, conduits par les Pays-Bas, insistaient auparavant pour que l’UE n’accorde que des prêts, conditionnés à la mise en œuvre par les gouvernements bénéficiaires de réformes qu’elle aurait imposées (et susceptibles de se voir opposer des vetos nationaux). Mais la réprobation qu’auraient suscitée dans leurs opinions des conditions aussi intrusives, rappelant le traitement subi par la Grèce voici dix ans, était inacceptable pour les pays d’Europe du sud.

En outre, les coûts d’emprunt souverain sont déjà si bas, en raison, pour une part non négligeable, du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchases Program – PEPP), lancé par la Banque centrale européenne, d’une valeur de 1 350 milliards d’euros, que des prêts de l’Union auraient été d’un secours négligeable. Ils n’auraient qu’aggravé les inquiétudes concernant la soutenabilité de la dette, notamment en Italie, dont la dette publique devrait atteindre l’an prochain, selon les prévisions, plus de 160% du PIB.

D’un point de vue économique, 390 milliards d’euros de transferts au cours des trois prochaines années fourniront une aide appréciable. La Commission européenne estime que l’économie de l’Union se contractera de 8% cette année, ce qui ramènerait le PIB européen à 12.800 milliards d’euros, dont les transferts du fonds de relance ne représenteraient alors que 3%, soit 1% par an. Si l’économie italienne subit cette année une contraction de 10%, les 82 milliards d’euros qui lui seront affectés se monteront donc à environ 5% de son PIB. Bien que très inférieures aux plans de relance budgétaires nationaux, les transferts consentis par l’Union fourniraient tout de même un complément appréciable aux mesures monétaires prises par la BCE pour éteindre l’incendie.

Baisser la colère suscitée par la crise 

Mais l’avantage du fonds de relance est surtout politique. L’UE démontre ainsi qu’elle est capable de venir en aide aux Européens au moment où ils en ont le plus besoin. Cela devrait avoir l’effet d’un antidote, pour le moins nécessaire, à l’euroscepticisme, et faire baisser la colère suscitée par la crise.

Sur le plan institutionnel, l’accord est une victoire majeure pour la Commission, qui fut souvent court-circuitée lors de la crise de la zone euro, en 2010-2012. C’est la Commission qui empruntera les 750 milliards d’euros destinés à financer le fonds, et distribuera transferts et prêts puisque c’est elle qui gère le budget de l’Union. Avec le remboursement de la dette après 2027 en ligne de mire, elle supervisera aussi l’examen de nouvelles sources de recettes, comme une taxe sur les services numériques ou un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Le revers de la médaille, c’est que l’accord, qui s’insérait dans un cycle de négociations sur le budget 2021-2027 de l’UE, s’est assorti de compromis regrettables. Avant la pandémie, l’engagement emblématique pris par la présidente de Commission, Ursula von der Leyen, était le pacte vert européen pour lutter contre le changement climatique. Aujourd’hui, les fonds alloués à la transition énergétique ont été fortement réduits.

Le défi des autoritarismes nationaux

Les autoritarismes nationaux sont un des grands défis de l’Union. Des gouvernements illibéraux, comme celui du Premier ministre hongrois Viktor Orbán continuent d’ébranler impunément l’état de droit en détournant à leur profit les fonds de cohésion régionale de l’Union, raison pour laquelle l’une des priorités absolues de Mme Merkel est de lier l’attribution de financements européens au respect de l’état de droit. Mais les mesures de conditionnalité ont été vidées de leur substance afin, a-t-on dit, de détourner la menace d’un veto qu’aurait pu poser Orbán (ce qui n’était guère crédible, car la Hongrie n’en serait pas moins demeurée, très largement, un bénéficiaire net des fonds européens).

Le départ du Royaume-Uni, en janvier, s’était aussi accompagné de l’espoir qu’on pourrait en finir avec la multiplication des rabais nationaux, une faveur d’abord obtenue par la Première ministre britannique Margaret Thatcher dans les années 1980 et par la suite consentie à d’autres contributeurs nets au budget européen. Ce genre de dispositions tend à encourager une mentalité mesquine de jeu à somme nulle qui mine la solidarité européenne. Mais au lieu de restreindre les rabais, l’accord budgétaire achète la docilité des Néerlandais, des Autrichiens, des Suédois et des Danois en leur concédant des faveurs avec une libéralité plus grande encore.

Après la crise qui a frappé la zone euro en 2010-2012, le philanthrope George Soros notait que Mme Merkel en faisait toujours juste assez pour maintenir l’euro à flot, "mais pas plus". Cela se vérifie à nouveau. Le fonds de relance est un pas en avant et doit être salué comme tel, mais il ne résout pas les problèmes fondamentaux de la zone euro, dont la dynamique insoutenable de la dette italienne, le biais déflationniste de l’Allemagne, et l’absence d’un mécanisme budgétaire de rééquilibrage. La zone euro est parvenue à esquiver le boulet, mais ne s’est pas pour autant mise à couvert.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2020
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