L’OMS et la complexe gestion des crises sanitaires internationales (II)

Le 5 janvier 2021 à 13h07

Modifié 11 avril 2021 à 2h49

C’est en déclarant, fin janvier 2020, l’urgence sanitaire mondiale de l’actuelle pandémie, que les diverses régions de la planète redécouvraient à nouveau l’OMS, ses rouages compliqués, des questions impliquant santé mondiale et diplomatie internationale des grandes puissances, l’ensemble parfois difficile à cerner, non sans risque d’entamer le rôle difficile mais précieux de transmetteur officiel audible d’alertes épidémiologiques essentielles pour la survie de l’humanité.

Ceci n’en rend que plus exigeante encore la place du professionnalisme et de la technicité sanitaires exigés d’une direction générale d’une pareille organisation tentaculaire, ce qui est loin d’être une mission aisée.

Assurée encore pour deux ans, par un représentant africain, en la personne d’un ancien ministre des affaires étrangères, non médecin, diplômé de l’Ecole de santé d’hygiène et de médecine tropicale de Nottingham en Grande Bretagne, sa mission en cours ne se trouvera pas ainsi facilitée uniquement par une certaine surdose nécessaire de diplomatie, dans une enceinte devant privilégier en premier lieu les aspects sanitaires.

Si une telle élection d’un Ethiopien fut naguère jugée « historique », ou presque, telle que l’Union africaine l’avait qualifiée alors, elle devrait désormais se traduire dans le proche avenir par une vigilante gouvernance redoublée et équilibrée, surtout par un suivi sanitaire encore plus professionnel s’agissant des pandémies dont celle en cours.

Parler d’élection dans une organisation du genre pourrait paraître quelque peu un abus de langage en la matière, tant il s’agit dans l’ensemble de dispositions agréées au préalable par les membres permanents du Conseil de Sécurité, manifestant parfois un certain consensus en faveur d’une éventuelle rotation continentale s’agissant de la direction de quelques Agences spécialisées. Un tel système existant depuis la Deuxième Guerre veut que certains organismes en particulier demeurent du ressort des seuls membres permanents des régions Amérique-Europe, suite à des accords anciens entre grandes puissances, tels les cas du Fonds Monétaire International ou de la Banque Mondiale.

Par contre, s’agissant des divers organismes relevant du dispositif de l’ONU, le principe et la coutume veulent que le choix et l’accord relatifs aux candidatures se fassent en dernier ressort, de façon diplomatique et sans heurt frontal si possible, permettant à tour de rôle de satisfaire chacune des grandes puissances à placer ou à soutenir une candidature appartenant à son aire d’influence.

Il en a toujours été ainsi, selon d’anciens diplomates du terrain, et la candidature d’un ancien ministre africain des affaires étrangères retenue comme directeur de l’OMS, n’a pas dérogé à la règle, ayant bénéficié surtout de l’appui décisif de la Chine, bien présente sur le continent et bien au fait de ses particularités économiques et politiques notamment.

Par ailleurs, de l’avis d’observateurs habitués de ces instances, la fonction d’un directeur général, aussi qualifié soit-il dans ce genre de dispositif international, n’est que rarement déterminante dans la prise des grandes de décisions importantes. Dans le cas d’espèce, celles-ci émanent régulièrement des structures techniques et scientifiques en charge des dossiers, rarement toutes « inféodées » à une seule et même puissance, encore moins lors d’une pandémie dite du siècle.

Il va de soi que chaque responsable « élu » à ce genre de poste est bien entendu redevable d’abord au gouvernement de son pays qui a autorisé sa candidature puis a permis de faire campagne en sa faveur, en sensibilisant les principaux alliés éventuels, selon le contexte des rapports internationaux prévalant.

Si certaines personnalités d’envergure purent faire exception par le passé et furent même consensuelles, le cas courant veut que le soutien d’une candidature à la tête de quelque organisation internationale, genre OMS, fasse souvent l’objet de longs échanges diplomatiques dans la pratique, notamment entre celles des grandes puissances concernées. Ce qui n’exclut pas de la part de celles-ci un relatif désintérêt remarqué s’agissant de telle ou telle organisation, laissant le champ libre au grand nouveau venu sur la scène mondiale.

Le lancinant problème du financement des programmes sanitaires

Un aspect et non des moindres a trait à la question centrale de la difficulté de faire face aux dépenses jugées essentielles de l’action de l’OMS, compte tenu du fait que les contributions officielles des Etats membres ne couvrent jusqu’ici que le quart des besoins d’un fonctionnement normal.

Depuis quelques décennies déjà, cette Organisation a multiplié les collaborations avec des organisations non étatiques, en partenariat avec près de plusieurs dizaines de groupes (ONG, industrie pharmaceutique et fondations dont notamment celle Bill-et-Melinda-Gates et la GAVI Alliance).

En principe, le budget-programme de l’OMS est financé au moyen d’une combinaison de contributions fixées de pays membres, calculées sur la base d’une combinaison du PIB et de la Population, ainsi que de contributions et dons volontaires d’Etats ou d’autres entités. Celles dites fixées ont décliné en tant que pourcentage général du budget programme et depuis plusieurs années, en raison de besoins sanitaires élémentaires qui ont augmenté à travers les diverses régions du monde. Autant dire que les cotisations fixées des Etats sont devenues au fil du temps symboliques et peu représentatives des ressources nécessitées par les politiques décidées par cette Agence, et ce depuis la fin du siècle dernier.

A titre de simple illustration, pour le double exercice 2018/2019, les prévisions de contributions de quelques Etats attestaient en général de la modicité des efforts financiers respectifs alloués à cette Organisation, et qui étaient comme suit par rapport aux cotisations totales devant être collectées : 22% pour les USA, 9% pour la Norvège, 7,9% pour la Chine, 7% pour l’Inde, 6,4% pour les Emirats, 6,3% pour l’Allemagne, 5,4% pour le Danemark, 4,8% pour la France, 3,00% pour la Russie, 3,6% pour l’Afrique du Sud, 2,00% pour le Nigéria, 1,1% pour l’Arabie Saoudite, 0,15% pour l’Egypte, 0,05% pour le Maroc, et 0,01% pour l’Ethiopie.

La récente décision américaine officielle, par exemple de réduire de moitié sa contribution, en pleine pandémie, et sans attendre les conclusions d’une éventuelle investigation approfondie, ne fait qu’éclairer sur les réelles difficultés d’une Organisation du genre à pouvoir poursuivre une mission exposée aux nécessaires critiques et vicissitudes, sans déplaire autant que possible aux principaux contributeurs.

D’ailleurs, à l’instar des années passées, l’équilibre de l’ensemble du budget-programme de l’OMS, par exemple de l’ordre d’US $ 5,6 milliards en 2019, restait dépendant pour les quatre-cinquièmes de ses besoins de contributions et dons dits volontaires d’Etats et d’entités à caractère privé, devenus ainsi essentiels pour sa survie.

Il va de soi que cela crée une large opportunité aux généreux donateurs de faire part de leurs avis sur les politiques et programmes sanitaires à adopter ou à entreprendre.

Agence certes controversée mais également convoitée, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’OMS des dernières décennies, en raison de son large rayon d’action et de son implantation dans les régions pandémiques en particulier, traduisant souvent un multilatéralisme de façade, au moment où des besoins impérieux de soins de santé de populations pauvres et vulnérables demeurent insatisfaits pour l’essentiel.

Une sorte d’externalisation progressive de fait des attributions d’une Organisation s’est ainsi mise en place d’une équipe dirigeante à l’autre, devenant une sorte de réceptacle de donations et de contributions volontaires orientées vers ceux des programmes de soins de santé s’inscrivant dans l’optique privilégiée des donateurs et contributeurs.

A cet égard, est-il besoin de le rappeler, les USA avaient déjà essayé par le passé, non sans succès, de contrôler l’essentiel de sa politique générale dans les années 80 du siècle dernier, selon des documents officiels, allant jusqu’à refuser de régler leur cotisation si leurs recommandations n’étaient pas suivies d’effet.

La récente sanction financière, intervenue lors d’un simple point de presse présidentiel, en avril 2020, de réduire une cotisation d’allure symboliquement la plus élevée parmi les Etats, est cependant pour surprendre, à un moment aussi crucial de la lutte contre une grave pandémie. De telles attitudes ne font que confirmer la crise larvée du passage d’un multilatéralisme à « géométrie variable », variant au gré des conjonctures, à un autre devenu plus une sorte de semblant des dernières années.

 L’apport devenu indispensable des fondations et du secteur privé  

Diverses fondations et œuvres privées genre Rotary et autres, participent peu ou prou ou indirectement à la mise en œuvre de certains objectifs sanitaires de l’OMS.

Celle qui est le plus souvent impliquée est la fondation « Bill Gates », relativement assez présente par son assistance et son appui financiers ainsi que par du conseil dans le domaine sanitaire dans les régions en développement. Le mot d’ordre véhiculé par cette entité, à rayonnement mondial, et se voulant exemplaire surtout par ses réalisations, est un « altruisme » dit « efficace ».

Le cas de la Fondation Gates et la question de la santé dans le monde

A ses origines, la création de cette structure philanthropique américaine aurait été une réponse notamment à la question de l’accès difficile au « vaccin antirotavirus » auquel tous les enfants à travers le monde ne pouvaient accéder avec des chances égales, notamment les plus pauvres d’entre eux.

Une grande part de ses activités consista, depuis ses débuts, deux décennies auparavant, à savoir intervenir au « moment approprié », pour participer au financement de quelques politiques gouvernementales d’achats de vaccins et d’équipements efficaces et appropriés aux besoins du moment. Elle a ainsi pris une part active à la création du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, en apportant un don de 650 millions de dollars, pour lutter contre trois des maladies infectieuses jugées alors les plus mortelles que le monde n’ait jamais connues, comblant les lacunes et difficultés de l’OMS.

Si cette fondation devenue importante et influente à travers le monde, par ses soutiens financiers sélectifs, elle ne se charge pas de la mise en œuvre des projets qui sont préparés et demeurant du ressort des laboratoires d’universités et des entreprises pharmaceutiques.

Il en serait de même des décisions d’achat des produits sanitaires ou des vaccins nécessaires, qui restent sous l’autorité des pays concernés ou d’organismes spécialisés comme l’UNICEF par exemple. En principe également, les divers donateurs s’interdisent d’élaborer la politique sanitaire des pays, tâche relevant des Etats, conseillés parfois par l’OMS.

Néanmoins, dans la pratique, à l’instar d’autres bailleurs de fonds, les contributeurs volontaires prennent une part non négligeable à la formulation des propositions ainsi qu’à la négociation de produits et de délais, soucieux qu’ils sont que les ressources correspondent à la tâche attendue et d’exercer l’impact le plus large possible.

Il est évident que la question de la santé au niveau mondial intéresse plusieurs approches disciplinaires autres que la médecine, et les diverses fondations en général et celle de Gates en particulier, parviennent à réunir périodiquement divers représentants du monde des sciences, en vue d’établir des « partenariats » sur les terrains d’action, ce que l’OMS ne peut se permettre en raison de l’état de ses faibles finances.

Selon cette fondation, les résultats du financement dans l’approche dite altruiste efficace devraient être jugés sur le long terme, en termes par exemple de « vies épargnées ou prolongées ». La démarche a pu susciter un regain d’intérêt et favoriser le lancement de processus de recherche fondamentale dans des universités notamment américaines en relation avec la science et la technologie intéressant la santé.

Certes, les problèmes rencontrés en matière de santé publique n’exigent pas seulement des compétences en sciences et en santé publique, mais effectivement aussi dans des disciplines permettant de trouver des solutions sanitaires propices avec un impact sur le terrain, aspect privilégié par les interventions de cette importante fondation philanthropique.

Le besoin de diversifier davantage les acteurs et de faire appel non seulement à des professionnels issus des écoles de santé publique, mais également à des spécialistes en gestion d’entreprises dotés d’une expérience, des ingénieurs et des développeurs de logiciels est devenu ainsi évident, et ne pouvant que renforcer l’action multiforme de l’OMS. Pour ce faire, la fondation inscrit l’essentiel de ses interventions sanitaires éventuelles, aux côtés de l’OMS en particulier, selon des critères empruntés à l’analyse économique des projets.

Les critères de choix et l’altruisme dit efficace.      

Un examen en termes de « coût-efficacité » dans le choix de politiques en général et sanitaires en particulier ne constitue pas a priori une hérésie, car appliqué judicieusement et combiné à d’autres critères, il peut éclairer utilement les conséquences et impacts respectifs des orientations pouvant être adoptées.

Une telle transposition d’outils d’analyse, habituellement en usage pour arbitrer des investissements intéressant divers secteurs d’activité économique et sociale, ne préjuge pas nécessairement de leur possible utilisation dans ceux de la santé humaine, sauf lorsqu’ils deviennent exclusifs comme dans l’approche de la fondation. 

Au sens strict, une analyse « coût-efficacité » compare les coûts et les effets d'une intervention de santé à ceux d’une autre. Il s'agit de mesurer l'impact marginal d'un choix sur les coûts et les effets attendus. Les décideurs ciblés par de telles évaluations économiques préconisées visent principalement des décideurs nationaux de programmes publics de médicaments et des fabricants internationaux de produits pharmaceutiques qui procurent les diverses données devant appuyer l’inscription des leurs sur les « Listes de médicaments » arrêtées par les pays en accord avec les services techniques de l’OMS.

De telles évaluations économiques aidant à la prise de décision, sont courantes dans plusieurs pays développés, elles concernent des technologies de soins de santé, tels les vaccins, les appareils médicaux, les interventions médicales et chirurgicales, la prévention et les activités de dépistage de la maladie, etc. Ces diverses technologies ne se limitent pas seulement aux produits, mais s’appliquent également à des stratégies pour la prise en charge des patients et le traitement d’une affection donnée. Autant leur degré de transparence est réel et permet aux choix en matière de santé d’être cohérents à leur tour, autant leur degré de pertinence peut être limité dans certains cas.

De telles approches comparent des ratios calculés entre les coûts d’une thérapeutique ou d’une action de prévention (exprimés en unité monétaire) et leurs divers résultats, exprimés en nombre de vies ou d’années sauvées, en nombre de cas de maladies guéries ou évitées, en fréquence ou durée réduite de maladie, en paramètres cliniques ou psychosociaux.

Les effets sur la santé sont ainsi mesurés en unités physiques dépendant de l’objectif de la thérapie ou de l’action de prévention. Les analyses permettent aussi de rendre compte des effets de chaque catégorie d’efficacité ainsi mesurée. L’intervention de critères économiques dans la prise de décision de politiques de soins et de prévention conduit à passer d’un modèle du patient à celui du client, avec ses côtés discutables que l’alliance Fondation-OMS a eu tendance à privilégier au cours des dernières décennies, introduisant le principe des soins solvables en premier.

Une analyse en termes de « coût-utilité », qui peut être complémentaire et associée dans divers cas dans les programmes sanitaires de l’OMS, permet d’aider à aboutir à un ratio entre les coûts d’une thérapeutique ou d’une action de prévention (exprimés en unité monétaire), et ses possibles résultats même sur la qualité de la vie. Car, les effets sont exprimés en années de vie gagnées pondérées par un critère de bonne santé. Le résultat est ainsi le produit d’effets multiples ramenés à une seule valeur. [A SUIVRE]

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