Un doigt d’optimisme pour 2019

Le 7 janvier 2019 à 15h35

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

KOLKATA (CALCUTTA) – Au terme d’une année de traumatismes politiques et de conflits, je me suis senti pris d’un sentiment assez inattendu d’optimisme. J’étais à Mumbai, et je pouvais voir d’un côté la mer d’Oman, s’ouvrant à l’ouest vers le golfe d’Aden et l’Afrique, de l’autre le vaste sous-continent indien s’étendant à l’est vers le golfe du Bengale et les terres qui s’avancent encore au-delà.  

Il n’est certes pas question de passer sous silence les catastrophes toujours en cours qui ont marqué l’année 2018. Au Yémen, des millions de civils, parmi lesquels des enfants, souffrent de la faim et de la violence aveugle.

A la frontière sud des Etats-Unis, des réfugiés, fuyant la misère et les désordres, ne savent pas s’ils trouveront un havre ou des portes closes et des gaz lacrymogènes. Partout dans le monde, des politiciens nationalistes et mégalomanes lancent des guerres commerciales, attisent les haines et dérivent vers le fascisme.

Si je me sens optimiste, c’est parce que le mois dernier, j’étais en voyage, et d’une certaine façon à l’abri des nouvelles, des Etats-Unis au Mexique, puis en Chine et désormais en Inde.

Au cours de mon périple, j’ai parlé avec des marchands qui avaient leur étal le long de la route, avec des étudiants, avec des étrangers dans des cafés, et lorsqu’on fait tout cela, il est impossible de ne pas voir combien tous ces gens, sur la planète, se ressemblent et de ne pas en être frappé. Nous ne parlons peut-être pas la même langue, ni ne portons les mêmes vêtements, ni n’avons les mêmes coutumes, mais notre humanité partagée, dans toutes ces conversations et au gré de toutes ces rencontres, devient une évidence. En un temps où se répand la haine de l’"autre", voilà qui est réconfortant. 

Les voyages nous rappellent aussi notre histoire commune. En me promenant dans le quartier de Roma Norte, à Mexico, parmi les vieilles demeures coloniales aux balcons de fer forgé, parmi les fresques représentant Alfred Hitchcock, Sigmund Freud et d’autres, je suis tombé sur une enseigne où l’on pouvait lire: "M.N. Roy". C’était une boîte de nuit, qui avait choisi comme nom celui du révolutionnaire indien Manabendra Nath Roy, ayant vécu au Mexique avec sa femme, la militante socialiste américaine Evelyn Trent, au début du XXe siècle.

Le Mexique était alors une plaque tournante d’intellectuels, d’artistes et de militants radicaux, qui partageaient des visions bohèmes du monde nouveau. Roy, né à Arbelia, minuscule hameau des environs de Kolkata, n’en était pas moins une âme intrépide et était doué de capacités intellectuelles hors du commun; il a vécu dans le monde entier, écrivant et parlant. Il fut l’un des membres fondateurs du Parti communiste mexicain. Plus tard dans sa vie, il revoit sa position et devient un humaniste radical. J’étais curieux d’en savoir plus sur la boîte de nuit, mais elle avait effectivement des horaires révolutionnaires: ouverture à 23 heures 15 et fermeture à quatre heures du matin.

Du Mexique, je suis parti vers l’autre bout du monde, pour prendre la parole dans un congrès à Xiamen, dans la province chinoise du Fujian. J’étais inquiet, car j’avais peu de temps auparavant entendu l’histoire d’un économiste américain qui se demandait si une plaisanterie, lancée lors d’une conférence, allait survivre à la traduction et qui avait finalement eu le plaisir d’entendre la salle éclater de rire. Lors du dîner ayant suivi son allocution, on lui avait appris comment sa plaisanterie avait été traduite: "L’économiste américain raconte une blague. Vous être priés de rire."

Heureusement pour moi, aucune traduction n’était nécessaire, car toutes les conférences sont désormais données en anglais à l’université de Xiamen. J’étais l’invité de la nouvelle Chine, pragmatique, où l’anglais est adopté non pour lui-même, mais pour marquer le rôle de la Chine comme puissance mondiale.

Alors que le président des Etats-Unis Donald Trump bat en retraite derrière un mur qui n’est pas construit, le pragmatisme de la Chine la propulse en avant.

Des fenêtres de ma chambre d’hôtel à Xiamen, j’avais vue sur l’"île aux pianos", Gulangyu, un bel espace piétonnier, qui est aussi un melting pot culturel. Elle tire son nom d’avoir été le lieu où de nombreux Européens demeuraient autrefois, dans de grandes maisons où il y avait souvent un piano. Et il n’est pas inintéressant de noter que l’ordre y était maintenu par des policiers sikhs des Indes britanniques.

Quittant Xiamen, je me suis rendu dans la ville voisine de Quanzhou, un melting pot plus ancien encore, puisque Lao Tseu, le fondateur du taoïsme y vécut un temps, et que ce fut dans ce port que débarqua Marco Polo.

Sur la route me sont aussi parvenues quelques nouvelles, et toutes ne sont pas mauvaises. Au Mexique, le nouveau président, Andrés Manuel Lopez Obrador, et sa vision d’une société plus équitable m’ont plu. Il commettra peut-être des erreurs dans la mise en œuvre de sa politique, c’est un risque, mais dans un monde gouverné toujours plus par le mensonge, l’arrivée d’un dirigeant dont les intentions sont bonnes est bienvenue.

La possibilité croissante de voir Trump chassé du pouvoir et les récentes victoires contre le nationalisme et le populisme, qui ont eu ces dernières années le vent en poupe, m’ont aussi donné un certain espoir.

Lors des élections régionales indiennes, en novembre et en décembre, des gens ordinaires – y compris des hindous – ont sagement rejeté l’idéologie chauvine de l’hindutva – ou de l’hindouïté –, propagée par des politiciens nationalistes comme Yogi Adityanath. L’un des principaux ordres monastiques hindous rejette lui-même le fondamentalisme. Le soir de Noël, Swami Suparnananda, l’une des grandes figures de la mission Ramakrishna, apparaissait aux côtés de l’archevêque catholique de Calcutta pour rappeler  le "grand message de Swami Vivekananda : un bon hindou est un bon chrétien, un bon chrétien est un bon hindou, et un bon musulman est un bon chrétien."

Enfin, la lecture de "Sapiens: une brève histoire de l’humanité", le ticket d’entrée de 512 pages pour les dernières 2,5 millions d’années sur terre, signé par l’historien Yuval Noah Arari, m’a donné espoir.

Je l’ai ouvert avec un certain scepticisme, mais je n’ai pas tardé à être captivé. Ecrit avec une élégance philosophique, émaillé d’humour, il m’a remémoré mon adolescence, lorsque je découvrais la vaste "Histoire de la philosophie occidentale" de Bertrand Russell. En nous rappelant que les humains n’occupent qu’une petite niche éphémère dans l’univers, il parvient à ce que peu de livres accomplissent: il nous met à notre place.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

© Project Syndicate 1995–2019

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