Une feuille de route pour l'industrialisation africaine

Le 8 juin 2018 à 12h19

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

ABIDJAN– L'Afrique est à la croisée des chemins. Six sur dix des économies à plus forte croissance dans le monde se situent actuellement dans la région et le PIB du continent est censé croître à un taux de 4,1% cette année, contre 3,6% en 2017.

Pourtant, la croissance économique de l'Afrique ne s'accompagne pas d'un niveau proportionné de création d'emplois, ce qui a en particulier des implications négatives pour les femmes et les jeunes. En fait, la croissance sans création d'emplois actuelle a pu même renverser les bénéfices réalisés par l'éradication de la pauvreté ces dernières années.

Le problème est que la croissance de l'Afrique, bien qu'impressionnante, a été instable, parce qu'elle a reposé principalement sur les cours élevés des matières premières, plutôt que sur l'industrie. Il ne faut pas sous-estimer les effets économiques de ce déséquilibre. Entre autres choses, cela explique pourquoi une région qui produit environ 75% du cacao du monde représente seulement 5% de près de 100 milliards de dollars du marché annuel du chocolat.

En dépit de ses vastes ressources naturelles, l'Afrique restera à la merci des cours de matières premières et des flux commerciaux jusqu'à ce qu'elle entreprenne une profonde transformation structurelle. Il est temps que l'Afrique débloque son véritable potentiel économique en suivant les traces de chaque économie moderne et qu'elle s'engage dans la transition de l'agriculture vers l'industrie.

Le secteur de l'industrie de l'Afrique est le maillon faible de son intégration continue dans l'économie mondiale. Aujourd'hui, les produits de base (matières premières) comprennent 62% des exportations totales de l'Afrique, la part la plus élevée au monde. En même temps, les exportations industrielles par habitant en 2014 ont été de seulement 218 dollars, soit à l'un des plus bas niveaux du monde, loin derrière d'autres régions en voie de développement comme l'Asie (883 dollars) et l'Amérique latine (1 099 dollars). Clairement, l'Afrique doit commencer à rattraper son retard.

Heureusement, il y a déjà un consensus mondial qui reconnaît l'importance de l'industrialisation et le fait qu'il est dans l'intérêt de chacun que l'Afrique devienne la puissance mondiale qu'elle doit être. Avec son "High 5 Agenda", la Banque africaine de développement (BAD) a fait de l'industrialisation sa première priorité. De même, l'industrialisation est une composante clé de "l'Agenda 2063" de l'Union africaine. En 2016, l'Assemblée générale des Nations Unies a déclaré que 2016-2025 serait la "Troisième décennie du développement industriel pour l'Afrique."

Mais de telles déclarations sont dénuées de sens en l'absence d'action concrète. Pour changer la trajectoire économique de la région, les décisionnaires africains doivent se concentrer sur trois secteurs principaux: les politiques industrielles, le financement d'infrastructure et le leadership.

Nous savons maintenant que les politiques industrielles peuvent être efficaces pour stimuler la croissance. La question est de savoir si les États ont la capacité de mettre en application les mesures qu'ils conçoivent. S'ils en sont capables, ils peuvent canaliser les ressources vers l'industrie et mobiliser les technologies disponibles pour créer de la synergie entre l'agriculture et les différentes branches de l'industrie.

Un certain nombre de pays africains ont déjà avancé dans cette direction. L'Éthiopie, par exemple, a créé des zones économiques spéciales, où elle a réduit ses coûts de production par des investissements dans l'infrastructure. En conséquence, le pays a émergé comme plus grand hub de l'Afrique pour l'industrie du textile, ce qui a attiré des acteurs principaux comme H&M et Primark. De même, la Zone économique spéciale de Kigali au Rwanda, qui exempte les entreprises de taxes pendant dix ans, a attiré des investissements de 20 millions de dollars de Volkswagen pour une nouvelle usine d'assemblage de véhicules.

Mais l'industrialisation ne peut pas se produire sans électricité, sans routes ni chemins de fer. C'est pourquoi l'infrastructure doit être une préoccupation principale. Dès maintenant, la BAD resserre le fossé de l'infrastructure de l'Afrique à 130-170 milliards de dollars par an. Pour le combler totalement, il ne faudra pas simplement davantage de financement, mais également une pensée plus novatrice, en particulier au sujet des efforts conjoints des secteurs public et privé.

A cet effet, la BAD a augmenté son portefeuille pour le financement de nouveaux projets d'infrastructure dans plusieurs pays. En tant qu'élément de notre "New Deal sur l'énergie pour l'Afrique", nous avons augmenté nos investissements dans l'énergie renouvelable et avons placé 265 millions de dollars dans le développement de deux centrales photovoltaïques au Maroc. En Côte d'Ivoire, où la demande d'énergie augmente de 8-9 % par an, nous investissons 60 millions de dollars pour mettre en exploitation une nouvelle centrale hydro-électrique de 44 mégawatts.

Les pays africains doivent faire de tels investissements maintenant pour récolter le dividende de la bosse démographique du continent dans les années à venir. Avec l'augmentation des activités industrielles, ces pays devront être soutenus par des connaissances plus robustes et par des économies fondées sur les compétences, qui exigeront de plus gros investissements dans l'éducation pour augmenter les qualifications, ainsi que les formations techniques et professionnelles.

Aucun pays n'a jamais connu de modernisation économique sans industrie. Mais surtout, aucun secteur industriel fonctionnel n'a jamais émergé en l'absence d'un leadership fort et engagé. Voyez le cas de l'Ile Maurice, qui dans les années 1970 était une économie à monoculture à faibles revenus dont le PIB par habitant était juste en deçà de 250 dollars. Aujourd'hui, l'Ile Maurice est un pays à revenus moyens-supérieurs avec une économie plus diversifiée et un PIB par habitant situé autour de 9.600 dollars. Il est souvent cité comme un modèle de réussite économique en Afrique.

Comment cela est arrivé? Comme le dit l'ancien Premier ministre et Président mauricien Anerood Jugnauth, "Il n'y a pas de miracle. Cela est simplement le résultat du travail acharné, de la discipline et de la volonté." Les dirigeants qui veulent développer une base industrielle forte doivent avoir la volonté politique de distribuer suffisamment de ressources et d'entraîner avec eux le secteur privé.

L'Ile Maurice a relevé sa part de défis pour évoluer du bas de l'échelle de l'industrie, jusqu'au rang d'une industrie de biens et services à forte intensité technologique. Mais elle est à présent un exemple de ce qu'un leadership engagé peut accomplir. D'autres pays africains feraient bien de s'en inspirer s'ils souhaitent poursuivre leur propre transformation économique.

En un mot, l'Afrique est bien placée pour saisir plusieurs opportunités que l'économie mondiale propose aux marchés émergents. Elle dispose déjà des ressources et de la main-d'œuvre. Elle a besoin à présent de dirigeants engagés, comme Jugnauth, pour mettre en œuvre les bonnes mesures.

© Project Syndicate 1995–2018
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