Joschka Fischer

Ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand de 1998 à 2005. Ancien dirigeant du Parti Vert allemand pendant près de 20 ans.

Une nouvelle guerre froide, la dernière chose dont ce siècle a besoin

Le 22 juin 2021 à 17h08

Modifié 22 juin 2021 à 17h10

Le sommet du G7 de ce mois-ci a semblé confirmer ce qui était évident depuis un certain temps déjà: les Etats-Unis et la Chine se sont engagés dans une guerre froide similaire à celle qui a opposé les Etats-Unis et l’Union soviétique durant la seconde moitié du XXe siècle.

BERLIN – Les pays occidentaux ne perçoivent plus seulement la Chine comme un concurrent économique et une puissance rivale, mais également comme un Etat de civilisation. Une fois de plus, le conflit semble porter sur des «systèmes» mutuellement incompatibles. Dans le contexte d’une dissension de valeurs croissante et de revendications concurrentes en matière d’hégémonie mondiale, une confrontation armée,ou du moins, une nouvelle course aux armements, semble désormais une possibilité réelle.

Mais si l’on examine la situation de plus près, la comparaison avec la guerre froide est trompeuse. La rivalité systémique entre les Etats-Unis et l’Union soviétique avait été précédée de l’une des guerres «chaudes» les plus brutales et catastrophiques de l’histoire et cet antagonisme reflétait les lignes de front de ce conflit mondial.

Bien que les Etats-Unis et l’Union soviétique aient été les principaux vainqueurs après la capitulation de l’Allemagne et du Japon, ils étaient déjà des ennemis idéologiques avant la guerre. Si l’Allemagne hitlérienne et le Japon impérial n’avaient pas tous deux cherché à dominer le monde par le biais de conquêtes militaires, les Etats-Unis et l’Union soviétique n’auraient jamais été des alliés. Dès la fin de la guerre, la confrontation entre le communisme soviétique et le capitalisme démocratique occidental a repris de plus belle, une inimitée exacerbée par la brutalité de la soviétisation forcée de l’Europe centrale et de l’est entre 1945 et 1948.

Qui sera la puissance hégémonique du XXIe siècle?

Dans le même temps, l’avènement de l’ère nucléaire a fondamentalement rebattu les cartes du pouvoir politique en rendant impossible tout guerre future pour l’hégémonie mondiale sans encourir le risque d’une annihilation réciproque. La destruction mutuelle assurée a obligé les superpuissances à faire en sorte que leur confrontation reste «froide», alors même que celle-ci menaçait l’humanité tout entière d’une catastrophe nucléaire. Si l’Union soviétique ne s’était pas effondrée et si le Pacte de Varsovie n’avais pas été dissous quatre décennies plus tard, on peut imaginer que ce conflit se serait prolongé indéfiniment.

La situation entre l’Occident et la Chine aujourd’hui est radicalement différente. Bien que le Parti communiste chinois (PCC) qualifie le régime de «socialiste» pour justifier son monopole politique, personne ne prend cette étiquette au sérieux. La Chine ne définit pas sa différence avec les pays occidentaux en fonction de sa position sur la propriété privée, mais fait et dit simplement ce qui est nécessaire pour maintenir le régime du parti unique. Depuis les réformes de Deng Xiaoping à la fin des années 1970, Pékin a mis en place un modèle hybride qui concilie à la fois l’économie de marché et l’économie planifiée, ainsi que la propriété d’Etat et la propriété privée. Le PCC est le seul maître à bord de ce modèle «marxiste-léniniste», qualifié d’économie socialiste de marché.

La nature hybride du système chinois explique son succès. Le pays est sur le point de supplanter les Etats-Unis, tant sur le plan économique que technologique, à l’horizon 2030 environ, un exploit que l’Union soviétique n'a jamais eu la moindre chance de réaliser au cours de ses 70 ans d’existence. Le «socialisme des milliardaires» chinois est clairement mieux armé pour se mesurer à l’Occident que ne l’a jamais été l’ancien système soviétique.

Si la rivalité systémique d’aujourd’hui n’est pas la même que celle de la guerre froide, quel pourrait être le but d’une deuxième guerre froide? Serait-il d’obliger la Chine à s’occidentaliser et à se démocratiser? Ou seulement de contenir sa puissance et de l’isoler au plan technologique (ou du moins ralentir son essor)? Et si les pays occidentaux parvenaient à réaliser l’un de ces objectifs, qu’en serait-il alors?

En réalité, aucun de ces objectifs ne pourrait jamais être atteint à un coût raisonnable pour les parties concernées. La Chine compte 1,4 milliard d’individus qui ont réalisé que l'occasion historique d'une reconnaissance mondiale de leur pays s'est présentée. Compte tenu de l’ampleur du marché chinois et des interdépendances économiques qu’il engendre, l’idée que la Chine puisse être isolée est absurde.

La question se pose peut-être plus en termes de pouvoir que d’économie. Qui sera la puissance hégémonique du XXIe siècle? En s’associant aux autres pays occidentaux, les Etats-Unis seront-ils vraiment en mesure de modifier les trajectoires historiques que sont l’ascension de la Chine et le déclin relatif de l’Occident? J’en doute fort.

L'hégémonie ne sera pas tranchée par le jeu politique traditionnel

Il est nécessaire et plus que temps que l’Occident reconnaisse que la Chine ne deviendra pas plus démocratique par le seul fait de son développement économique et de son intégration dans l’économie mondiale. La cupidité a trop longtemps encouragé ce fantasme.

Je vais me risquer à faire une prédiction: le XXIe siècle ne sera pas du tout caractérisé principalement par un retour au jeu politique des grandes puissances, même si cela semble être le cas actuellement. L’expérience de la pandémie nous oblige à avoir une vision plus large et à plus long terme. Le Covid-19 n’a été qu’un prélude à la crise climatique imminente, un défi mondial qui obligera les grandes puissances à choisir la voie de la coopération pour le bien de l’humanité, quel que soit le chef de file mondial.

Pour la toute première fois, la pandémie a fait de l’humanité plus qu’une abstraction, transformant ce concept en un domaine d’action concret. Endiguer le coronavirus et épargner à tous la menace posée par de nouveaux variants dangereux nécessitera autrement plus de moyens que huit milliards de doses de vaccin. Dans l’hypothèse où le réchauffement de la planète et la surexploitation des écosystèmes régionaux et mondiaux se poursuivent au même rythme, ce même champ d’action global deviendra le domaine d’intervention prédominant de ce siècle.

Dans ce contexte, la question de savoir quel pays détiendra l’hégémonie ne sera pas tranchée par le jeu politique traditionnel des superpuissances, mais par l’engagement de certaines puissances à fournir la direction et les compétences exigées par la situation. A la différence du passé, une nouvelle guerre froide ne ferait que précipiter, et non prévenir, une destruction mutuelle assurée.

© Project Syndicate 1995–2021

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