Exclusif. Meurtres d'Imlil: le récit de Abdelhak Khiame

C’est l’histoire tragique d’une radicalisation discrète, sans faire partie d’une organisation internationale, à la manière des “loups solitaires“. 4 individus ont pris la décision de commettre des actes dans le crédo jihadiste. Deux touristes scandinaves en ont payé le prix. Voici le récit de Abdelhak Khiame, directeur du BCIJ, recueilli en exclusivité par Médias24.

Exclusif. Meurtres d'Imlil: le récit de Abdelhak Khiame

Le 6 janvier 2019 à 9h33

Modifié 6 janvier 2019 à 9h33

C’est l’histoire tragique d’une radicalisation discrète, sans faire partie d’une organisation internationale, à la manière des “loups solitaires“. 4 individus ont pris la décision de commettre des actes dans le crédo jihadiste. Deux touristes scandinaves en ont payé le prix. Voici le récit de Abdelhak Khiame, directeur du BCIJ, recueilli en exclusivité par Médias24.

Les deux crimes terroristes d’Imlil commis dans la nuit du 16 au 17 décembre 2018, sont atypiques. Ils portent certes la marque de Daech au niveau du mode opératoire. La propagande de Daech a été l’élément déclencheur. Hormis cela, nous sommes bien en présence d’une affaire inédite où il n’y avait ni organisation, ni planification, ni conceptualisation, le tout par des exécutants dont le profil est celui de criminels de droit commun plutôt que de terroristes.

C’est ce qui ressort des interrogatoires menés par le BCIJ. Toute la reconstitution ci-dessous a pour source les déclarations de Abdelhak Khiame, elles-mêmes basées sur les interrogatoires.

 

EN 2014, un certain A. J., habitant Marrakech, est arrêté par la BNPJ (le BCIJ n’existait pas encore), pour apologie du terrorisme et enrôlement d’individus en vue de leur acheminement vers des zones de conflits (Syrie et Irak) pour y commettre des entreprises terroristes.

Présenté à la Justice, il écope de 4 ans d’emprisonnement. Une année plus tard, en 2015, il est libéré après un pourvoi en cassation.

A sa sortie de prison, A. J. n’a pas changé. Il est toujours imprégné des mêmes idées jihadistes. Il poursuivra son activité mais d’une manière plus discrète que par le passé. De fait, il arrive à passer entre les gouttes et n’attire pas l’attention. Il reste dans les radars, il est fiché, mais rien ne montre qu’il poursuit une activité d’embrigadement ni qu’il prépare un éventuel passage à l’acte.

Un ressortissant suisse entre en scène

En cette année 2015, son chemin va croiser celui d’un ressortissant hispano-suisse, de passage au Maroc et qui finira par devenir résident à Marrakech.

Entre 2013 et 2015, ce Genevois, né d’un père suisse d’origine colombienne et d’une mère espagnole, a des démêlés avec la justice helvétique pour des faits de droit commun tels que trafic de stupéfiants, vol, cambriolage, dommages à la propriété, agression et violence conjugale.

Pour une raison non-identifiée à ce stade, il se convertit à l’Islam à la mosquée de Genève dans le quartier du Petit-Saconnex. Cette mosquée avait attiré l’attention en raison de la présence de deux imams français convertis qui avaient été en contact avec Mohamed Merah et qui avaient finalement été expulsés de Suisse. Ces deux imams ont été à l’origine de plusieurs radicalisations et recrutements de candidats jihadistes envoyés vers le Moyen-Orient.

Ce ressortissant suisse croise donc, en Suisse, un Marocain radicalisé qui lui recommande d’effectuer sa “hijra“ en se rendant au Maroc et en s’inscrivant dans une école coranique. Il se rend donc dans la localité de Tikiouine et ne trouve pas l’école coranique recherchée. Il reprend un autocar pour Marrakech d’où il compte reprendre l’avion pour Genève.

A la gare routière de Marrakech, il croise par hasard, un Marocain de passage, un homme pieux, qui ne porte pas d'idées extrémistes. Ce dernier, croyant faire une bonne action, l’incite à rester dans cette ville et lui présente un imam qui officie dans une mosquée anarchique dans les environs de la ville rouge. C’est cet imam, qui fait partie des 22 personnes présentées à la Justice dans le cadre de l’affaire d’Imlil, qui lui présentera A. J., futur émir de la cellule.

Ce ressortissant suisse jouera un rôle comme on va le voir. Déjà radicalisé, il sera une sorte de mentor pour la cellule: arrêté le 29 décembre 2018, il reconnaîtra avoir entraîné les membres de la cellule au tir, leur avoir fourni l’application Telegram utilisée par les terroristes et d’avoir embrigadé ou tenté d’embrigader des Marocains et des ressortissants subsahariens, en vue de commettre des actes terroristes dans le royaume.

A travers Telegram, les personnes enrôlées sont exposées à la propagande de Daech. En 2018, c’est un groupe de 22 personnes qui tient des réunions, parfois à la campagne dans les environs de Marrakech, parfois par petits groupes dans des domiciles. Les échanges sont faits de haine et de désir de vengeance contre les “croisés“ et les ennemis de Daech.

Le passage à l'acte

Au mois de décembre 2018, un noyau composé de 4 d’entre eux décide de passer à l’acte. L’objectif est de “faire quelque chose“ : tuer des touristes ou des membres des forces de sécurité. Mais aucun “objectif“ précis n’est identifié.

Le mercredi 12 décembre, ils enregistrent une vidéo d’allégeance à Daech au domicile de l’un d’entre eux, A. K., qui apparaît à l’extrême droite sur les images. Un tissu noir fait office d’arrière-plan, avec une inscription censée représenter la bannière de Daech. Le texte d’allégeance est ânonné d’une voix hésitante. Il est lu par A.J., l’émir de la cellule.

Après l’enregistrement fait par téléphone portable, les quatre se rasent la barbe. Le vendredi 14 ils prennent la route d’Imlil. Ils ont apparemment renoncé à commettre leurs actes dans la ville de Marrakech, trop surveillée et fréquentée.

Les voici dans un taxi collectif sur la route d’Imlil. Ils ont emporté avec eux, dans des sacs à provisions, des couteaux de boucherie. A mi-chemin, le taxi est arrêté par un barrage de deux gendarmes. Ils se concertent silencieusement : si les gendarmes les fouillent, ils les tueront. Mais ces derniers leur demandent leurs papiers et les laissent poursuivre leur chemin. C’est un contrôle de routine.

A Imlil, il y a trop de monde. Ils se rendent à Sidi Chamharouch. Sur leur chemin, ils croisent deux cyclistes étrangers. Ainsi qu’un groupe de touristes accompagnés de guides. Ils ne passent pas à l’acte, trop de monde.

Plus tard, ils tombent sur un touriste anglophone. Ils pensent qu’il est anglais. Ils décident de le tuer, et avant de commettre leur forfait, l’interrogent sur sa religion. Il répond: “muslim“. Ils le relâchent.

Pour une raison non élucidée, A. K., le quatrième de la bande, au domicile duquel la vidéo d’allégeance a été enregistrée, décide de repartir à Marrakech. Il dit à ses trois complices : “je suis fatigué, mais je suis engagé avec vous. Je vais redescendre à Marrakech et je vais vous préparer une planque pour votre repli“. Il quitte la bande. Ils ne sont plus que trois.

Dimanche 16 décembre, alors que la nuit tombe, vers 19H, ils aperçoivent les deux jeunes scandinaves. Ils installent leur propre tente à 150 mètres environ de celle des deux touristes isolées. Ils s’endorment tout en ayant remonté les réveils de leurs téléphones à minuit.

A minuit, ils se réveillent, ils commettent les deux crimes. Les deux victimes sont décapitées. A 1 heure du matin, ils quittent les lieux dans une certaine panique, abandonnant leur tente et… la carte d’identité nationale de leur émir A. J. C’est ce dernier qui a décapité les deux pauvres femmes.

Ils marchent alors pendant 5 heures, jusqu’à Asni et reprennent la route de Marrakech. En route, ils envoient la vidéo d’allégeance à leurs 18 autres complices, en utilisant l’application Telegram. Et en leur demandant de passer à l'acte eux aussi.

Contrairement à ce qui a été dit et écrit, aucune caméra de surveillance à Imlil ni dans les environs, ne les a filmés.

L'enquête

Lundi matin, les autorités locales sont prévenues. Le BCIJ est sur le pont, la gendarmerie royale et la police judiciaire de Marrakech. C’est le BCIJ qui a la main, c’est lui qui prend les décisions, tel est le choix du procureur général de Rabat, chargé des affaires de terrorisme. Le modus operandi suggère en effet des crimes terroristes.

Khiame envoie plusieurs équipes différentes sur place. On ne sait pas comment ni quand, les services marocains ont intercepté la vidéo d’allégeance envoyée sur Telegram. Ils identifient immédiatement les quatre sbires. La carte d’identité de l’émir retrouvée sur les lieux confirme leurs soupçons.

A.K., celui qui était redescendu, est cueilli chez lui le mardi 18 décembre. Il est interrogé sur place à Marrakech. Il avoue et apporte des détails, fournit les noms d’autres complices, raconte l’équipée criminelle.

Les trois autres terroristes ne rentrent pas à leurs domiciles. Ils restent groupés. Ce que l’on sait, c’est qu’ils ont passé deux nuits à la belle étoile, près d’un terrain de sport.

Toutes les entrées et sorties de Marrakech sont surveillées par des éléments du BCIJ. Le Bureau central estime (ou sait), qu’ils sont en ville et qu’ils vont chercher à la quitter. Jeudi matin vers 07H, il fait encore nuit sur la ville. A la gare routière de Bab Doukkala, des éléments du BICJ les reconnaissent. Ne sachant pas s’ils portent des ceintures explosives, on décide d’arrêter l’autocar lorsqu’il aura quitté la gare routière. Quelques centaines de mètres plus loin, un barrage arrête l’autocar et des éléments du BCIJ, en civil, montent et les arrêtent. Ils n’opposent aucune résistance. Ils sont d’ailleurs photographiés dans cet autocar, hagards. Ils n’ont pour bagages que les sacs contenant leurs couteaux.

Les trois compères sont acheminés directement au siège du BCIJ à Salé. Tous les noms cités par eux dans leurs déclarations font l’objet d’une surveillance discrète. 18 autres individus seront arrêtés et présentés à la justice.

Khiame participe à des interrogatoires. Il a interrogé par le passé au moins un millier de personnes impliquées dans des crimes terroristes et autant de criminels de droit commun. Son opinion personnelle, c’est que le profil des quatre individus est celui de criminels de droit commun plutôt que de terroristes.

L’affaire est maintenant entre les mains de la Justice. Elle est la première (et espérons, la dernière) manifestation publique au Maroc du phénomène de terrorisme et de radicalisation endogène ou essentiellement endogène.  Certes, le crédo jihadiste venait de Daech. Mais les deux crimes n’ont pas été spécialement validés ou commandés. Il n’y a pas eu de revendication de la part de Daech.

Le terrorisme sans leader, c’est de cela qu’il s’agit. Il y avait les filiales, il y a maintenant les franchises. Ces passages à l’acte sauvages, non planifiés, effectués parfois par un seul individu, sont diffus, très difficiles à prévoir.

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