Covid-19. Youssef Oulhote : Au moins un vaccin sera autorisé avant la fin de l'année

ENTRETIEN. Pour l'épidémiologiste Youssef Oulhote, la crise sanitaire finira au cours du 2è semestre 2021. Plusieurs vaccins seront probablement autorisés avant la fin de l'année 2020. Il faut s'y préparer dès maintenant car il sera crucial et vital de choisir les bonnes cibles à vacciner en premier.

Covid-19. Youssef Oulhote : Au moins un vaccin sera autorisé avant la fin de l'année

Le 4 octobre 2020 à 20h29

Modifié 10 avril 2021 à 22h55

ENTRETIEN. Pour l'épidémiologiste Youssef Oulhote, la crise sanitaire finira au cours du 2è semestre 2021. Plusieurs vaccins seront probablement autorisés avant la fin de l'année 2020. Il faut s'y préparer dès maintenant car il sera crucial et vital de choisir les bonnes cibles à vacciner en premier.

Le Marocain Youssef Oulhote n'a plus besoin d'être présenté. La crise actuelle l'a rendu familier à de nombreux Marocains. Il est titulaire d'un diplôme d’ingénieur de l’IAV Hassan II, d'un master en analyse des risques des bio-contaminants de l’AgroParisTech et d'un doctorat en épidémiologie et santé publique de l’EHESP. Il est enseignant chercheur d’épidémiologie et biostatistique à l’université Publique du Massachusetts et ingénieur de recherche à l’école de santé publique de l’Université de Harvard.

Médias24: Etes-vous optimiste ou pessimiste aujourd’hui concernant la pandémie ?

Youssef Oulhote: C’est ma nature d’être optimiste. Sur la pandémie, je suis optimiste mais avec des réserves.

On va s’en sortir de toutes les façons, mais la vraie question est la suivante : qu’est-ce qu’on aura gagné, qu’est-ce qu’on aura perdu, qu’est-ce qu’on aura appris de ce qui s’est passé ?

-On va donc trouver rapidement un vaccin ou un traitement ?  

-Il y aura un vaccin avec une efficacité suffisante, qui induira probablement une immunité autour d’un an ou un peu plus. Mais après l’arrivée du vaccin, il y aura tous les challenges de la vaccination.

Pour ce qui concerne le traitement, je rappelle qu’il n’y a pas de traitement à ce stade, encore moins la chloroquine. Le seul qu’on connaisse, c’est la dexaméthasone pour les états graves.

Cela ne veut pas dire qu’on en restera là. Il y a de nouveaux essais cliniques qui commencent, avec de nouvelles catégories de médicaments. Il y a plus de 300 médicaments en essais cliniques. Et il y aura encore de nouvelles formules qui vont être testées, en s’appuyant sur les plus récentes recherches ; car aujourd’hui, on connaît le virus beaucoup mieux qu’il y a quelques mois.

-Il y a la récente annonce de l’Institut Pasteur de Lille en France…

-C’est une annonce qui est faite sur la base d’une étude expérimentale. On n’est même pas dans la phase clinique. Il y a tout un historique d’antiviraux qui marchent très bien in vitro mais dès qu’on effectue des études cliniques, cela ne marche pas.

Cela rappelle d’ailleurs le cas de l’hydroxychloroquine.

 Il y a un consensus épidémiologique; la chloroquine, ça ne guérit pas

-A propos d’hydroxychloroquine, le ministre de la Santé a dit qu’elle retarde l’entrée du virus dans la cellule, et de ce fait réduit la contagion et la mortalité…

-Cette hypothèse date de février-mars. Depuis cette date, il y a eu d’autres études scientifiques, parmi lesquelles deux sont sorties coup sur coup dans Nature, une étude française et une étude allemande sur des cellules épithéliales du poumon et sur des macaques ; ces deux études contredisent ce qui a été avancé par les Chinois dans les premières études en février et en mars basées sur des cellules de rein du singe africain.

La chloroquine, et maintenant il y a un consensus épidémiologique sur ce point, ça ne marche pas.

Le débat maintenant va aller sur la prophylaxie et là, c’est encore équivoque. Même s’il y a plusieurs études qui n’ont pas trouvé d’effet significatif. Quand bien même il y aurait un effet prophylactique, qu’est-ce que cela veut dire dans les faits ?

Est-ce que vous allez la donner à des millions de personnes sans suivi pour éviter l’infection? Et quel est le bilan bénéfices-coûts ? En réduisant l’infection de 20 personnes mais en créant de la mortalité par exemple cardiotoxique (surtout en combinaison avec l’azithromycine), ou des problèmes gastro-intestinaux à des milliers de personnes, est ce que ça vaut le coup ?

Pour moi c’est non.

Dr Youssef Oulhote: Le Maroc peut sortir de la crise avec des stratégies à long terme.

-Revenons aux perspectives. Si on tablait sur un vaccin, il faudrait au bas mot attendre juin prochain pour ne pas dire plus, car il faut le développer, réussir les essais cliniques, ensuite attendre d’avoir suffisamment de recul sur les effets indésirables, il faut six mois minimum je crois… n’est-ce pas ?

-En fait, il y aura des autorisations d’utilisation d’urgence, donc on n’attendra pas plusieurs mois après la conclusion des études cliniques.

Il y a 4 vaccins qui sont à peu près dans la transparence, en termes de processus d’évaluation ; ils ont publié leurs processus d’évaluation, les méthodes statistiques utilisées, les analyses intermédiaires, etc.

Il y a Moderna, Pfizer, AstraZeneca et celui qui pour moi a changé la donne, Johnson & Johnson. Ce dernier laboratoire vient de commencer les essais cliniques de phase 3 pour un vaccin.

Pourquoi ça change la donne ? Parce que c’est le seul vaccin pour le moment parmi les plus gros, qui ne nécessite qu’une seule dose.

De plus, c’est le seul vaccin qui n’a pas besoin de réfrigération. Les réfrigérateurs, ce sera un problème sur le marché international. Le futur vaccin de Moderna a besoin d’être stocké à -20 degrés avec tout ce que ça implique pour la chaîne logistique.

Celui de Pfizer, c’est moins 70 ou moins 80 degrés.

Pour Johnson & Johnson, c’est un seul shot et pas de réfrigération.

Si ce vaccin aboutit, il sera un game changer. En plus, ce laboratoire a une grande expertise dans la production des vaccins.

Donc, après l’achèvement des études cliniques, nous n’aurons pas une très bonne évaluation des effets secondaires ; parce que l’humanité sera pressée et on verra en principe des autorisations tomber avant la fin de cette année.

A ce moment, nous n’aurons pas encore suffisamment de recul sur les effets secondaires. Mais nous aurons une bonne idée sur l’efficacité ou la futilité de chaque vaccin. Ce sont les deux critères premiers au départ.

On vise une efficacité de 50% à 60% en gros. C’est le minimum exigé par l’OMS et la FDA (Food and drug administration, USA).

-Ce n’est pas énorme…

-50%, ce n’est pas si mal. Il y a autre chose, c’est que les vaccins qui seront produits ultérieurement seront meilleurs que les premiers.

Il n'y aura probablement pas un seul vaccin mais plusieurs autorisés d'ici la fin de l'année

-Pourquoi vous n’avez pas cité les deux projets de vaccins chinois ?

-Je ne les ai pas exclus. Simplement, aujourd’hui, leur procédure d’évaluation complète n’est pas accessible.

Les 4 que j’ai cités ont publié leurs procédures complètes.

-Pour résumer, en principe, d’ici la fin de l’année, au moins un de ces vaccins va se déclarer, et il sera autorisé d’urgence...

-Je pense qu’il n’y aura pas qu’un seul vaccin, mais plusieurs autorisés d’ici la fin de l’année.

Dès qu'il y aura le vaccin, les complications vont commencer. Il faut s'y préparer dès maintenant car on ne pourra pas vacciner tout le monde. Qui vacciner en premier pour être efficace ?

-Donc, fin 2020, on a au moins un vaccin. Que va-t-il se passer, au Maroc et dans le monde ?

-Les complications vont commencer car il n’y aura pas assez de doses de vaccin pour tout le monde, ni au Maroc ni ailleurs.

Sur le plan logistique et industriel, il faudra produire à grande échelle et ce sera très compliqué. Il faudra produire le vaccin, les fioles de verre pour conditionner le vaccin, les seringues, des freezers, réfrigérateurs, …

Mais pour moi le gros défi, c’est comment le distribuer, quels seront les groupes prioritaires, comment organiser cette campagne, comment mettre en place des systèmes d’information pour suivre qui est vacciné et qui ne l'est pas, car nous n’aurons pas les moyens, du moins au départ, de vacciner toute la population…

Et ce sera encore plus compliqué quand le vaccin nécessite deux doses, car il faudra faire revenir chaque personne.

C’est un gros challenge.

Un pays ne s’improvise pas pays de la science ou des inventions en six mois, alors que ses respirateurs ne marchent pas…

La stratégie de déploiement du vaccin doit être préparée dès aujourd'hui

-Ok, on fait quoi alors ?

-Il y a deux choses.

Pour les systèmes d’information, il faut s’y préparer.

Mais pour les stratégies de déploiement du vaccin, il y a deux choix : soit on duplique ce qui se fait ailleurs, en l’adaptant ; soit on s’est déjà préparé. Et ça, c’est maintenant qu’il faut le faire et on est probablement en retard.

Se préparer signifie se donner les moyens de savoir qui doit être vacciné en premier, quelles sont les catégories de population qu’il faudra cibler et comment le faire.

Je pense qu’il faudra déjà mettre en place une task force pluridisciplinaire (avec des spécialistes locaux en marketing, communication, épidémiologie, statistique, médecine, sociologie, etc…) dont l’objectif est de pondre une stratégie de vaccination d’ici la fin de l’année. Egalement, une stratégie de communication sur la vaccination pour les populations, faire aussi un bilan des circuits de distribution et de vaccination disponibles.

La campagne de vaccination sera un projet inégalé dans l’histoire de la santé publique, et il faudra s’y préparer. Je pense par exemple à comment exploiter les centres commerciaux et supermarchés, les réseaux des opérateurs téléphoniques, etc.

Pour la stratégie de vaccination en soi, il faut avoir des enquêtes épidémiologiques pour connaître la situation sur le terrain, en ayant analysé toutes les données marocaines.

Ce qui va être crucial par exemple, c’est : qui transmet le plus, qui infecte le plus, qui risque le plus de se retrouver dans un état grave ?... Ce sont ceux qu’il faudra vacciner les premiers. On sait par exemple que la comorbidité avec l’hypertension, le diabète par exemple, sont des facteurs de risque. Mais connaît-on les diabétiques pour les vacciner en premier ? Tous les diabétiques savent-ils eux-mêmes qu’ils ont cette maladie chronique ?

Il faudra par exemple avoir une idée sur le niveau de contamination des populations de manière pointue.

Quel est le pourcentage des gens déjà infectés à Agadir, à Marrakech, à Kelâat Sraghna ?… Quand on a cette information, on adapte sa campagne de vaccination de manière optimale.

En combinant cela avec le taux de reproduction Rt, on obtient des estimations précieuses : Par exemple, si au moment de la vaccination le R est de 1,5 en moyenne nationale car les mesures de distanciation et masques l’ont fait baisser, il faudra regarder celui d’une région ou d’une ville pour optimiser la campagne. 1,5 signifie qu’il faut vacciner 33% (1-1/R) de la population pour le faire baisser en dessous de 1 et stopper la propagation. Si 5% ont déjà été infectés, il faudra couvrir 28% seulement. Ces chiffres sont indicatifs, pour me faire comprendre.

Si l’on vaccine d’une manière aléatoire, on perd de l’argent, du temps et de l’efficacité, et donc des vies. Et il n’est pas sûr que l’on stoppe l’épidémie.

C’est là où l’on se rend compte de l’importance d’avoir de la donnée open pour les chercheurs. Il faut faire des enquêtes de prévalence dans plusieurs villes. C’est maintenant que ça se prépare… il serait déjà un bon premier pas si le ministère communique, comme les autres pays, chaque jour sur la distribution par âge, genre etc., des hospitalisations et des décès.

-Le ministère de la Santé a annoncé avoir fait une enquête de séroprévalence auprès de 85.000 donneurs de sang au cours du mois d’août 2020...

-Les donneurs de sang, c’est une catégorie particulière, les résultats sont donc biaisés.

-Le ministère annonce une autre enquête de séroprévalence sur 6 millions de Marocains, catégories à risque…

-6 millions ce n’est plus une enquête, c’est un quasi-recensement.

Il y a deux très bonnes (à mon avis) enquêtes de séroprévalence à l’international.

Celle qui a été faite en Espagne sur 60.000 personnes.

Et il y a l’enquête de l’Angleterre qui en est à 150.000 personnes depuis le mois de mai.

Une question cruciale: l'absence de données suffisantes, ou leur non-publication

-Qu’est ce qui s’est passé à Tanger et à Casa ? Pourquoi cette flambée ?

-On est sorti du confinement sans un vrai contrôle de la transmission et cela à cause de l’absence de datas. Avec mes collègues de Tafra, on avait adressé une lettre au HCP, pour demander des données. On voulait créer un score de risque basé sur les conditions sanitaires de la population et les conditions socio-démographiques.

Cela aurait nécessité une petite semaine de travail et cela aurait aidé grandement à identifier des stratégies locales et optimales pour pouvoir limiter la propagation du virus et ses conséquences.

En combinant avec des données épidémiologiques de comorbidité, on aurait pu avoir une stratégie intelligente peu coûteuse.

Le Maroc a effectué 2,5 millions de tests pour l’instant. Qu’a-t-il obtenu comme informations de ces tests à part le nombre de cas positifs ?

Il n’y a même pas de rapport sur qui contamine qui, qui meurt et de quoi, etc.

Il y a des bribes à droite et à gauche, mais sans plus. S’il y a des données, elles sont gardées au chaud. On ne peut même pas confronter plusieurs modèles ou des résultats différents.

En raison de la complexité de la vaccination, la crise se prolongera jusqu'à la deuxième moitié de 2021

-Le monde sortira quand de la crise actuelle ?

-Pour la sortie de crise, nous sommes dans une échelle de juin à décembre 2021. La crise se prolongera jusqu’à la deuxième moitié 2021.

Ensuite, c’est une quasi-certitude, ce virus va devenir endémique.

Si on développe un vaccin qui procure une immunité d’un an environ, il faudra se faire vacciner tous les ans. Et ce, jusqu’à ce qu’on s’habitue et que la mortalité baisse, c’est ce qui se passe avec le temps. Nous sommes donc sur une échelle de quelques années.

-Pour en revenir aux datas, que pensez-vous des chiffres publiés au Maroc?

- Je vais vous donner des exemples. L’autre jour à la tv, quelqu’un disait que le Maroc a le plus faible taux de létalité ou l’un des plus faibles au monde.

C’est totalement faux.

Je vais vous donner un chiffre, dont je suis sûr à 95% : le vrai taux de létalité au Maroc se situerait entre 0,2 et 0,5% tant qu’on n’a pas dépassé les capacités hospitalières.

 J'estime le nombre de cas cumulés au Maroc à 800.00 à 900.000

-Cela signifie que le nombre de personnes contaminées est bien plus important que celui des cas détectés….

-Voilà.

J’estime qu’on est à 800.000 à 900.000 contaminations depuis le départ. On est au minimum à 400.000 et au maximum à 1,5 million de cas cumulés.

Quant aux cas actifs, c’est 0,2 à 0,9% de la population [70.000- à 300.000 cas actifs en moyenne].

La 2e chose : les bons pays ont fait baisser le taux de mortalité en améliorant la détection des cas.

Même le CFR, case fatality ratio (nombre de décès divisé par nombre de cas détectés), tous les bons pays l’ont diminué. En Angleterre, il a été divisé par deux depuis le mois de mars.

Au Maroc, on est stable à 1,8% et aux alentours, depuis avril-mai. Ce 1,8 % est faux même pour un CFR.

On ne peut pas diviser le nombre de morts aujourd’hui par le nombre de cas aujourd’hui, ce n’est pas la même cohorte. Celui qui décède aujourd’hui a été contaminé deux ou trois semaines auparavant en moyenne.

Il faudra donc diviser par le nombre de cas d’il a y deux semaines et là on aura un taux plus élevé, on serait au-delà de 2% pour le taux de létalité.

En réalité, le taux de létalité marocain est de 0,2% à 0,5%, pas plus.

Voilà comment je l’ai calculé. Je suis parti de 4 enquêtes : Espagne, Etats-Unis, Allemagne et celle du premier bateau contaminé et placé en quarantaine.

Ensuite, j’ai intégré les résultats des enquêtes de séroprévalence, on connaît les taux de létalité de ces 4 groupes.

On fait alors une opération de standardisation parce que la structure d’âge n’est pas la même. On tombe sur une fourchette de 0,2% à 0,5% au Maroc.

Il est moindre qu’aux USA où ce taux est de ~0,7%, parce que la population marocaine est plus jeune.

Enfin, pour connaître le nombre réel de contaminés de manière approximative pour les lecteurs, il faut faire une règle de trois à partir des 1,8%. Si on prend le chiffre de 0,2% comme taux réel, le taux actuel correspond donc à 9 fois le nombre réel de contaminations. Donc, 1,1 million environ serait ainsi le nombre maximum de cas cumulés depuis le début. Pour la borne inférieure, il faut multiplier par 3,6.

-Est-ce que ces pandémies pourraient revenir avec d’autres virus.

-La transmission virale est un processus chaotique et stochastique, aléatoire.

Il arrive tous les mois ou toutes les semaines dans certaines zones d’Asie. Il y a des processus aléatoires qui font qu’il passe de l’homme à l’homme ou pas. Par exemple, le premier humain infecté va-t-il se rendre dans des zones très peuplées ou pas…

Il y a un institut américain spécialisé (EcoHealth Alliance) qui ne fait que ça, suivre l’apparition de nouveaux virus, de nouvelles épidémies. Il avait effectué une enquête de séroprévalence dans une zone reculée en Chine ; il a trouvé chez des individus, des anticorps de virus dont on ignorait l’existence. Ça arrive donc tout le temps, on est en train de repousser la nature, la déforestation fait des ravages, et avec le changement climatique, ce genre de pandémies ou l’apparition de nouveaux virus risquent de survenir plus souvent.

-Revenons à notre vaccin. Quels sont les risques puisqu’on va l’autoriser dans l’urgence, sans avoir assez de recul sur les effets indésirables ?...

-Ce qui m’inquiète le plus, c’est de savoir si les essais cliniques courants comportent suffisamment d’individus à risques, personnes âgées, avec comorbidité… Si ces catégories ne sont pas suffisamment représentées, on n’aura pas une très bonne idée sur les répercussions.

-Ok et pour les effets indésirables ?

-C’est une première mondiale, on va entreprendre de vacciner des milliards d’individus. Sur ces milliards, il va y avoir des choses ici ou là, c’est la loi des grands nombres. Ce n’est pas ce qui me fait peur. Et puis il y aura de petits effets indésirables habituels comme une petite fièvre.

C’est pour toutes ces raisons que les essais cliniques se font à grande échelle, pour pouvoir détecter les effets indésirables à faible probabilité.

-Et la grippe dont la saison arrive : faut-il se faire vacciner ou pas ?

-Absolument, pour supprimer les confusions, les doutes entre Covid-19 et grippe. Et c’est une bonne stratégie dans l’absolu pour éviter la surcharge hospitalière.

-Pour l’enseignement, vous êtes pour le présentiel ou le distanciel ?

-Bien sûr que je suis pour la présence.

Mon domaine, c’est le développement cognitif et psychomoteur de l’enfant.

C’est catastrophique que l’on n’ait pas mis les conditions essentielles pour que l’école reparte, partout pas seulement au Maroc.

Ce sont des générations qui vont payer le prix de ces erreurs.

Pour moi, la question ce n’est pas d’ouvrir l’école ou pas.

C’est plutôt : est-ce qu’on a mis les conditions nécessaires pour que les écoles soient ouvertes pour les enfants ?

-Dans la stratégie marocaine, les cas asymptomatiques ou bénins sont isolés et suivis à domicile…

-C’est ce qu’il aurait fallu faire dès le début.

-Si le nombre de cas continue à grimper, est-ce qu’il faut isoler tout le monde à domicile sauf les graves qui seraient hospitalisés ?

-Ce qu’il faut éviter, c’est de créer une discrimination sociale dans ce processus.

Il est plus facile à une personne d’Anfa supérieur de s’isoler qu’à une personne de Sbata. On pourrait recourir à un isolement dans des structures préexistantes et fermées comme des mosquées ou des maisons de jeunes ? Cela éviterait également les transmissions d’un secteur à l’autre.

-Quels sont les meilleurs cas de gestion de cette pandémie dans le monde ?

-Les pays asiatiques d’abord. Ils ont des systèmes de surveillance épidémiologiques bien rodés, des traceurs.

Au Maroc, on est à 24.000 tests/jour.

On ne teste pas pour avoir le nombre de cas mais pour limiter la transmission, identifier les chaînes, les casser.

La bonne stratégie, c’est tester, tracer, isoler.

Le Maroc n’a pas de traceurs, des personnes formées spécialement à tracer les contacts, les contaminations, les chaînes de transmission. On aurait pu former 10.000 traceurs c’est très facile, deux jours de formation en ligne suffisent. Les candidats n’auraient pas manqué : étudiants en médecine, étudiants infirmiers, personnels de centres d’appels… Nous aurions eu une petite armée de traceurs, pour cette épidémie et pour l’avenir.

Ce sont les b.a.-ba de la santé publique pour contrer les maladies infectieuses.

-Dans quel état allons-nous sortir tous de cette épidémie ? Avec plus d’humilité ? Avec une nouvelle vision du monde et de nous-mêmes ? de nos priorités ?

-Pour moi, il y a quatre points essentiels :

1. Nous sommes dans une crise, il faut l’exploiter pour sortir avec des solutions à long terme.

Par exemple : le ministère de la Santé a évoqué une enquête de séroprévalence de 6 millions de personnes. Voici une proposition : qu’il nous fasse seulement 1 million de tests, répartis sur une dizaine d’enquêtes séquentielles (disons toutes les 3 semaines) et ce sera très bien pour maîtriser l’évolution et connaître l’état des lieux d’ici la vaccination.

Pour le reste de l’argent économisé des 5 millions de tests restants : je propose de constituer une biobanque représentative de la population marocaine. Au lieu de prélever 3 ml de sang, qu’on prenne 20 ml et qu’on les stocke. On pourrait même prélever de l’urine et pourquoi pas quelques cheveux, en plus des données sociodémographiques, etc. Ça serait une première dans l’histoire du Maroc sans grand coût financier.

-Pourquoi?

C’est un programme de recherche pour des centaines de doctorants et professeurs pour les 30 ans à venir. Et cela, pour un prix de revient modique.

Prenons un exemple. Dans 5 ans, un chercheur marocain sur la maladie d’Alzheimer recherchera les biomarqueurs qui vont prédire qu’une personne aura l’Alzheimer. Il fera une étude de cohorte prospective grâce à une petite partie de cette biobanque. Il aura à sa disposition un bon échantillon avec toutes les données et échantillons nécessaires à son étude.

On peut penser à une infinité de programmes à long terme.

Le Maroc n’a pas une seule cohorte prospective nationale. Comment établir des politiques de santé publique quand on n’a pas d’enquêtes prospectives, un suivi de la situation alimentaire, de la situation environnementale, la situation sanitaire etc. ?

La santé publique n'est pas seulement affaire d'argent ou de formation

-Vous êtes en train de dire que la santé publique n’est pas une affaire d’infrastructure.

-Je vais plus loin, elle n’est pas seulement affaire d’argent ou de formation. Il faut avoir des stratégies à long terme. Est-ce que nous avons par exemple un programme national de santé publique sur 10 ans avec des objectifs clairs et des procédures d’application ? Je ne sais pas.

2. Le plus gros défi, c’est qu’on a entamé une transition épidémiologique depuis un moment, des maladies infectieuses comme celle-ci, vers les maladies chroniques, Alzheimer, obésité, diabète, hypertension, santé mentale, troubles de comportement etc…

Ce sont des maladies complexes, qui ne se réduisent pas à une situation clinique chez un individu. Il y a beaucoup de déterminants, sociétaux, médicaux, génétiques, environnementaux, ce qui nécessite des programmes de prévention intersectorielles et plus complexes. …

Nous avons besoin d’une structure indépendante, par exemple une agence nationale de la santé publique, avec des antennes régionales. Il faut une vraie réflexion sur cette question.

Il faut avoir des économistes de la santé, des épidémiologistes, des experts en environnement, des biologistes, des biostatisticiens, des experts dans les politiques de santé et ces gens-là ne sont pas des médecins. La médecine aussi bien sûr est indispensable, mais c’est une partie du puzzle de la santé publique.

Je vous donne un seul exemple, nous avons actuellement entre 1 et 3 millions d’enfants marocains intoxiqués au plomb. Nous n’avons aucune stratégie pour étudier ce phénomène. On ne sait ni où ni comment les enfants sont intoxiqués, et nous n’avons pas de stratégie de prévention. Pourtant, c’est une épidémie silencieuse qui hypothèque l’avenir de nos enfants et qui nous coûte à peu près 3,5% de notre PIB.

3. Au Maroc, nous n’avons pas une culture de débat scientifique libre.

Nous avons une culture de cooptation et surtout de déférence, il faut une action urgente en faveur de la liberté de débat au Maroc.

Même dans les réunions, on sent l’absence de culture de débat scientifique. Il y a la culture des personnes. On ne contredit pas les gens puissants, un chef de département ou un ministre. Des gens sont plus audibles que d’autres, juste parce qu’ils ont un poste.

L’exemple de l’hydroxychloroquine qu’on continue à prescrire jusqu'a présent est un exemple parlant. On parle de quelques cas de médecins ayant été inquiétés pour s’être exprimés sur ce sujet et cela est extrêmement grave, tout autant que le climat actuel des libertés au Maroc. Preuve en est que tous les médecins que vous avez interrogés l’ont fait de manière anonyme.

Il faut séparer la science de l’exercice politique.

4. On ne s’improvise pas une nation scientifique ou d’inventeurs en 6 mois.

Le Maroc est très loin dans le domaine des sciences de la santé ou même biomédicales, et ça sera le cas pour un moment si les choses restent ainsi.

Je vous donne deux exemples personnels. Ça fait 12 ans que je fais 3 à 4 conférences d’épidémiologie ou de santé environnementale et publique par an. Vous savez combien de chercheurs marocains (basés au Maroc) j’ai rencontrés ou vus présenter en ces 12 ans : 1 seul. Pourtant je rencontre des Ghanéens, Nigérians, Egyptiens, etc. tout le temps, qui eux, sont basés au Ghana, Nigéria, etc.

Un deuxième exemple, les instituts de santé aux USA accordent des subventions de recherche aux chercheurs dans le monde, surtout l’Institut Fogarty. J’y ai trouvé des institutions bénéficiaires de la Sierra Leone, Tanzanie, Liban, Mali, mais aucune institution universitaire marocaine. Ce sont ces subventions qui vont donner lieu à des études qui vont à leur tour stimuler la recherche et la publication dans ces pays.

C’est une culture mais c’est aussi parce qu’on n’a pas de programmes structurels.

-C’est glaçant ce que vous dites…

-Ce sont des choses qui peuvent se corriger facilement s’il y a une volonté, notamment le point le plus immédiat, celui de la liberté d’expression, qu’elle soit scientifique ou non. Il y a de l’espoir sinon je n’en parlerais même pas.

L’université doit devenir le noyau, le pivot du développement du pays. C’est le plus important.

La pandémie va passer, qu’est-ce qu’elle va nous laisser ? C’est la question que l’on doit se poser.

Il y a des stratégies à faire qui doivent être pilotées surtout par les nouvelles générations locales.

Pourquoi on n’a pas 50 épidémiologistes au Maroc ? Pourquoi on n’a pas une école doctorale en santé publique.

On a une seule école publique de santé publique, ex-école de l’administration sanitaire. Chaque université devrait avoir son école de santé publique.

Et c’est un super débouché pour beaucoup de disciplines, économie, anthropologie, sociologie environnement, mathématique, etc.

La santé publique n’est pas une discipline, c’est un ensemble de problèmes qui font appel à beaucoup de disciplines.

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