Élections. Les raisons du recul de la confiance des citoyens (événement TIZI)

Dans un débat organisé samedi 6 mars par TIZI, une unanimité s’est dégagée sur la grande désaffection des Marocains vis-à-vis de la chose partisane et des urnes. Une défiance qui s’explique selon les intervenants par le contexte régional et mondial mais aussi par la faiblesse des partis politiques et leur manque de courage.

Élections. Les raisons du recul de la confiance des citoyens (événement TIZI)

Le 8 mars 2021 à 18h39

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

Dans un débat organisé samedi 6 mars par TIZI, une unanimité s’est dégagée sur la grande désaffection des Marocains vis-à-vis de la chose partisane et des urnes. Une défiance qui s’explique selon les intervenants par le contexte régional et mondial mais aussi par la faiblesse des partis politiques et leur manque de courage.

Ce débat a vu la participation de jeunes de différentes sensibilités politiques. La militante du mouvement du 20 février et chercheuse Sara Soujar, le fondateur du mouvement Maan, Zakaria Garti et le journaliste Redouane Ramdani.

Si leurs positions vis-à-vis de la chose politique, de concepts comme la démocratie, la représentation, ou de débats d’actualité comme les récentes réformes des lois électorales sont assez différentes, les intervenants sont tous unanimes sur une chose : le grand décalage entre l’offre politique actuelle et les attentes des citoyens. Un constat qui mènera à coup sûr à une grande abstention lors des prochaines échéances électorales. Et les raisons de cette désaffection anticipée sont multiples selon les trois intervenants.

Le recul de la confiance, un phénomène mondial

Pour la militante des droits humains et chercheuse Sara Soujar, il y a d’abord un contexte régional qui a fait que le dynamisme politique et social né dans le sillage du mouvement du 20 février s’est essoufflé.

« Le Maroc n’est pas isolé de son environnement régional. La région a connu depuis 2011 deux phases : une phase révolutionnaire où les peuples revendiquaient du changement. Puis une « Ridda » politique (apostasie), illustrée par les contre-révolutions qu’ont connues plusieurs pays et qui se sont manifestées par des guerres civiles, des crise de réfugiés, des coups d’Etat… Tout cela a impacté le la vie politique au Maroc et le processus de transition démocratique », analyse-t-elle.

Une transition démocratique à laquelle elle ne croit pas d’ailleurs, préférant parler de "séquences d’ouvertures politiques qui sont définis par les rapports de force du moment", selon ses termes.

« On est encore dans un système où il y a de l’autoritarisme. Il n’y a pas de clarté dans la séparation des pouvoirs par exemple. On ne sait comment la décision politique est produite. On a vécu un retour sur certaines libertés et droits. Et les partis politiques ne jouent pas leur rôle », ajoute-t-elle.  

Ce qui a contribué, comme le souligne Zakaria Garti à une sorte de «désespoir» chez les citoyens, malgré la réforme constitutionnelle de 2011.

« Les citoyens vous disent aujourd’hui qu’ils ont voté deux fois, mais que rien n’a changé dans leur vie. Pourquoi iront-ils voter encore une fois ? », rapporte-t-il.

Et cette « Ridda » dont parlait Sara Soujar, elle n’est pas juste régionale, mais mondiale, tient à préciser le fondateur du mouvement Maan. 

« La confiance a reculé dans le monde entier. La démocratie et la participation citoyenne ne peuvent se développer sans une classe moyenne forte. Pendant les trente glorieuses en Europe, 10% des européens pratiquaient la politique d’une manière ou d’une autre. Ils ne sont aujourd’hui que 1%, avec le contexte de crise qui touche le monde depuis 2008. D’où la forte montée des mouvements populistes, des extrêmes droites un peu partout dans le monde. Dans notre région, il n’y a pas de classe moyenne. Je ne vois pas donc comment on peut construire des démocraties », explique-t-il, en faisant un lien assez intéressant entre développement social et économique et confiance citoyenne en les institutions politiques.

Décalage entre la Constitution et la pratique politique

Mais il ne faut pas perdre espoir, ajoute-t-il. Car même s’il y a eu un essoufflement du dynamisme citoyen et social de 2011, les choses ne sont pas encore pliées.

« Il est certes très tôt de parler du bilan de la Constitution de 2011. Ce genre d’exercice doit se faire sur des décennies. Je pense d’ailleurs que le mouvement du 20 février est une parenthèse qui ne s’est pas encore refermée. La preuve par les différents mouvements sociaux qui sont nés ces dernières années et la multiplication des revendications sociales. Maintenant, ces revendications doivent un jour se traduire par une pensée politique pour que l’on puisse avancer sur le chemin de la participation démocratique », explique-t-il.

Le Maroc dispose selon lui d’une constitution avancée, mais que l’on peut lire de différentes manières : une lecture parlementaire, comme une lecture présidentielle. Et seuls les citoyens sont capables de faire pencher la balance vers l’une ou l’autre interprétation. « Tout dépend de la culture politique des élites et de la participation des citoyens qui sont les seuls à pouvoir concrétiser telle ou telle lecture », précise-t-il.

Le journaliste Redouane Ramdani va, lui, à contre courant sur la relation entre Constitution, pratique politique et participation citoyenne. « Cela fait 10 ans que cette Constitution a été votée, et on parle encore de nouvelle Constitution alors que beaucoup de choses ont changé. Ce n’est pas le moment de faire un bilan, d’analyser ce qui a été fait ou pas, mais de parler de nouvelles perspectives constitutionnelles et politiques. Au Maroc, on reste malheureusement otages des bilans, on est des salafistes constitutionnels… », égrène-t-il « sans langue de bois ».

Pour lui, la Constitution actuelle ne reflète pas la réalité politique du Maroc. « On n’a pas besoin d’être constitutionnaliste pour le constater. Il y a une contradiction entre la culture politique ambiante et la Constitution de 2011 », ajoute-t-il.

Constitution ou pas, le citoyen veut du changement. Et ce changement, il doit le voir dans sa vie quotidienne, comme le dit Sara Soujar.

« Les revendications du 20 février n’ont pas été traduites dans la réalité, notamment celles portant sur le social et qui touchent au quotidien des gens. Personne ne peut contester actuellement le niveau de fragilité sociale dans notre pays, le creusement des inégalités. C’est cela qui sape la confiance. Cette réforme n’a pas changé le quotidien des gens. C’est ce qui a créé cette sorte de déception globale que l’on voit, ce manque de confiance en les politiques… », explique-t-elle.

Le quotient électoral, un nouveau facteur de défiance ?

Une déception que Redouane Ramdani explique aussi par le comportement des partis politiques, qui au lieu de s’intéresser au quotidien des gens se battent pour des choses techniques qui ne concernent en rien, dit-il, le quotidien des citoyens. Il donne ici l’exemple du débat enflammé sur le quotient électoral.

« Le PJD veut faire croire aux gens que le changement de ce quotient est un retour sur les acquis démocratiques. Et se met encore une fois dans la position de la victime. C’est comme si la démocratie ne dépendait que des islamistes. S’ils sont contents, le pays va bien. S’ils sont mécontents, ils nous sortent les grands discours sur le recul démocratique… », lance-t-il.

Un point sur lequel Sara Soujar et Zakaria Garti ne le rejoignent pas, expliquant que PJD ou pas, cette réforme du quotient électoral est un des éléments qui vont encore plus décrédibiliser la chose politique et le processus électoral.

« Le PJD doit rendre des comptes aux Marocains de manière démocratique, sur la base de son bilan que je trouve personnellement négatif. Sans passer par des procédés comme le quotient électoral. Quand on défend la démocratie, on ne défend pas forcément le PJD. S’il y avait un autre parti qui gouvernait, on défendra la même chose. C’est une question de principe. Le quotient électoral a en plus un impact direct sur le citoyen. Car ça définit les personnes qui seront élues et qui vont faire la politique publique, au jour le jour. Ce n’est pas qu’une question technique, mais de fond », rétorque-t-elle.

Ce vote sur les nouvelles lois électorales, passé en fin de semaine, et notamment le changement du quotient électoral ne fera selon elle que fausser encore plus le jeu politique.

« Moi je boycotte les élections. C’est une position politique assumée. Or, ma voix cette année va être prise en compte. Si je boycotte, c’est que je veux que mon acte soit lu comme tel, comme une position politique. Si on le compte dans la distribution des sièges, on n’est plus dans une démocratie. Et si on veut, comme on nous dit, faire entrer de nouveaux partis dans l’action politique, ces partis n’ont qu’à descendre sur le terrain et aller convaincre les Marocains de votre pour eux. C’est cela la politique », explique-t-elle.

Zakaria Garti se montre lui aussi catégorique sur ce point et pense que cette réforme du quotient électoral est « un retour sur les acquis démocratiques ». Et ne fera que renforcer chez les Marocains cette idée que les élections ne servent à rien.

« Chacun a sa logique, mais il y a une logique qui s’impose à tous, celle des maths. Ce n’est pas logique qu’un parti qui récolte 20.000 voix et un parti qui en récolte 200 aient tous les deux un siège chacun. Ce n’est pas logique du tout. La règle démocratique veut qu’il y ait une relativité entre le nombre de voix obtenues et le nombre de sièges. Les lois électorales sont un quelque chose de technique, certes, mais c’est une traduction d’une vision politique », exprime-t-il.

Et ce retour en arrière, Zakaria Garti pense que le PJD en porte la responsabilité.

« L’Intiafda du PJD qu’on a vu cette semaine contre cette réforme, on voulait la voir sur d’autres sujets : le hirak d’Al Hoceima, les lois qui sapent la classe moyenne… Cette réforme du quotient n’est que le résultat d’une série de concessions que le PJD a acceptées. Et il n’a aujourd’hui qu’à assumer son manque de courage politique. L’histoire se renouvelle malheureusement. Le PJD vit exactement la même chose que ce qu’a vécu l’USFP il y a des années avant lui », analyse le fondateur du mouvement Maan, qui pense que le manque de courage politique est la principale cause de la défiance des citoyens vis-à-vis des partis et des élections.

De nouvelles formes d’activisme politique

Un manque d’intérêt pour les élections qui ne veut pas forcément dire un désintérêt pour la chose publique. Puisque, comme le soulignent Sara Soujar et Zakaria Garti, les Marocains qui ne se retrouvent pas dans les partis et leur offre politique, ont créé leurs propres espaces d’expression. La loi 22-20 est citée en exemple de cet activisme citoyen qui s’est exercé au moment où un projet de loi qui visait à limiter les champs de liberté d’expression des Marocains sur les réseaux sociaux allait passer en catimini, avant que les citoyens ne la fassent tomber sans passer par les partis politiques.

« Le peuple marocain est encore vivace politiquement. Mais nous avons des partis faibles et un gouvernement faible. Le gouvernement El Othmani est justement l’un des gouvernements les plus faibles de l’histoire du Maroc », tonne Zakaria Garti.

Et Sara Soujar d’ajouter que le manque de clarté politique, la faiblesse des partis et l’absence de lignes de démarcations entre partis politiques créent une certaine illisibilité chez le citoyen. « Comment voulez-vous que les gens participent dans ce brouillard politique ? » , s’interroge-t-elle.

« Les gens s’expriment librement en dehors des partis et un décalage s’est créé entre les citoyens et les politiques. Les rapports de force politiques ne se construisent plus dans les partis actuellement, mais dans les réseaux sociaux», ajoute-t-elle. 

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

Promopharm S.A: communiqué de presse

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.