Usage légal du cannabis : Des experts répondent aux interrogations des producteurs

Des questions sont posées sur le risque de disparition de certains emplois et de baisse du rendement. Des experts expliquent que le projet ne peut être que bénéfique à la population et la région du Nord. Explications.

Usage légal du cannabis : Des experts répondent aux interrogations des producteurs

Le 18 mars 2021 à 17h50

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

Des questions sont posées sur le risque de disparition de certains emplois et de baisse du rendement. Des experts expliquent que le projet ne peut être que bénéfique à la population et la région du Nord. Explications.

Dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, un jeune de la commune d'Issaguen, souvent désignée en tant que "Ketama" dans la province d’Al Hoceima, entouré d’autres habitants de la région, exprime ses craintes et ses interrogations concernant le projet de loi sur l'usage légal du cannabis, adopté le 11 mars en Conseil du gouvernement. 

Ce jeune évoque notamment une possible disparition de certains emplois liés à cette culture, ainsi qu'une possible baisse du rendement. Il craint également que les agriculteurs de la région deviennent de simples acteurs au service des usines, qui seront "certainement" créées dans les grandes villes du Royaume comme Casablanca et Rabat. Selon lui, ce projet ne fera qu’appauvrir davantage la population de la région du Nord.

Contactés par Médias24, différents experts s'accordent à dire que ce projet ne peut être que bénéfique pour cette population, qui vit dans une pauvreté extrême et sous la pression des narcotrafiquants depuis des années déjà. 

            Les usines seront installées dans le Nord et de nouveaux emplois remplaceront ceux qui seront perdus            

C’est ce que nous a confirmé Mounir El Bouyousfi, directeur de l'Agence pour la promotion et le développement du Nord (APDN), qui déplore "ces fake news". Pour avancer de tels propos, "cette personne n’a vraisemblablement pas lu le projet de loi sur la régularisation du cannabis". 

"Cette loi est faite pour les agriculteurs des zones où la culture du cannabis est prépondérante. Elle est également faite pour les protéger et les accompagner".

Comme précisé sur ce projet, "les usines seront installées dans le Nord", assure-t-il. En effet, ce projet de loi indique que pour obtenir des autorisations de culture et de production de cannabis, le demandeur doit être majeur et de nationalité marocaine, et doit habiter dans l’un des douars dans les provinces où la culture licite du cannabis sera autorisée par décret.

Le demandeur doit également être propriétaire d’une parcelle de terrain, ou être autorisé (par le propriétaire) à cultiver le cannabis, ou encore obtenir une attestation délivrée par les autorités administratives locales, selon laquelle il exploite une parcelle de terrain.

Parmi les objectifs de ce projet de loi, "l’amélioration de l’environnement" où cette plante est cultivée, "l’accompagnement des agriculteurs, ainsi que le maintien de la stabilité de cette culture".

Concernant la suppression des emplois, M. El Bouyousfi estime que "comme chaque année, des métiers disparaissent et d’autres naissent, et ce projet favorisera la création d’autres emplois".

Sur ce point, Aziz Daouda, directeur technique de la Confédération africaine d’athlétisme (CAA) mais aussi expert de la question du cannabis, nous a confié que les emplois menacés sont ceux en relation avec le trafic illicite du cannabis.

Un marché moins rentable mais légal et plus sûr 

Sur ce point les avis restent mitigés. Certains experts pensent que le rendement ne sera pas énorme et que ce projet de loi ne permettra pas de mettre fin définitivement au trafic, tandis que d’autres estiment qu'il permettra au moins de rendre justice à une population vivant depuis des décennies sous la pression des narcotrafiquants.

Ahmed Khalid Ben Omar, expert en cannabis, a travaillé durant de nombreuses années à l’APDN pour le développement alternatif dans les zones concernées par le cannabis. Joint pas Médias 24, il nous a présenté les paramètres de rentabilité du cannabis à usage industriel, thérapeutique et médical.  

"Les études réalisées sur le terrain par l’Etat et l’APDN sur la problématique du cannabis, entre 2003 et 2015, ont montré que l’usage illicite du cannabis, lié au trafic, est malheureusement et tristement plus rentable que la production industrielle sans transformation", nous confie-t-il.

Selon lui, la valeur du cannabis à usage industriel reste moins importante. "Pour produire du cannabis en tant que drogue, les agriculteurs n’utilisent que la sommité fleurie de la plante. Celle-ci peut rapporter entre 4.000 et 10.000 DH le kg. Pour la production du cannabis à usage industriel ou cosmétique, la plante est utilisée dans son ensemble, et la tige du cannabis a une valeur connue sur le marché international. Actuellement, elle se vend entre 180 à 200 dollars la tonne. C’est-à-dire que lorsqu’un agriculteur produira du cannabis à usage industriel, il réalisera un gain de 12.000 à 13.000 DH par hectare, ce qui n’est même pas plus rentable que d'autres cultures de la région".

La seconde problématique qui se pose est la superficie des terres cultivées, qui doit être assez grande pour réaliser un bon chiffre d’affaires. Or, "les parcelles des agriculteurs dans ces zones ne dépassent jamais un demi-hectare, voire un hectare, et se trouvent dans des montagnes difficiles d’accès. Donc s’ils vendent le cannabis à usage industriel, et qu’ils vendent au véritable prix du marché, ce n’est pas forcément rentable". Cette rentabilité peut toutefois être augmentée s'il y a des coopératives qui jouent un rôle dans la transformation industrielle, ce qui implique formation et accompagnement.

Pour le cannabis à usage médical, "il y a deux volets", le cannabis pharmaceutique et le cannabis médical. "Le cannabis médical, qui est équivalent au récréatif dans ses formes de consommation, est prescrit par des médecins pour des pathologies psychiatriques ou psychologiques", par exemple. "Il consiste à inhaler un joint, ou un spray…". Malgré la croissance qu'il connaît dans de nombreux pays, "ce cannabis reste controversé, d'un point de vue éthique, médical ou religieux". "Le cannabis pharmaceutique est, lui, sous forme de médicaments faits à base de molécules de cannabis. Celui-ci est stagnant, parce que c’est un marché compliqué, et les usages des molécules ne sont pas bien connus".

Pour ce qui est de l'exportation du cannabis vers des pays étrangers, "prenons l'exemple de l’Allemagne qui est le plus grand consommateur du cannabis médical en Europe, avec une consommation de 2 ou 3 tonnes par an. Cette quantité ne représente que 0,5% de la production marocaine, laquelle s’élève à 1.000 tonnes par an. L’Europe est donc un marché quasiment balbutiant", conclut notre source.

Le prix peut être négocié avec l’Etat marocain

Pour sa part, M. Daouda estime qu’il "est préférable que cette population, qui vit actuellement dans une pauvreté extrême, soit rémunérée par l’Etat et les acteurs marocains qui récupèrent leurs cultures, avec une possibilité de négocier les prix, que de rester à la merci des narcotrafiquants, qui, eux en revanche, ne négocient pas".

"Cette population est à la fois sous la pression de ces trafiquants mais aussi des autorités marocaines, parce qu’elle se trouve dans une situation hors la loi".

"Sur le plan psychologique et social, ce projet va ainsi la libérer d’un poids et d’une injustice qu'elle subit depuis des années. Au moins 40.000 personnes sont actuellement en fuite et vivent dans une misère absolue".

Un accompagnement est nécessaire

Joint à son tour, Abdellatif Adebibe, grand militant pour la légalisation du cannabis, et président de l'Association pour le développement du Rif central (depuis Chefchaouen à Al Hoceima), créée en 1999, nous a confié qu’un accompagnement, un dialogue et une sensibilisation des agriculteurs concernés sont indispensables pour que ce projet aboutisse.

"Les agriculteurs des zones historiques connues pour la production du Kif doivent être sensibilisés. On doit leur expliquer ce que contient ce projet et ses avantages", nous a-t-il indiqué.

"Il faut également leur expliquer que ce projet n’est pas encore entré en vigueur, qu’il doit être adopté au Parlement avant, et que ses clauses doivent être discutées avec tous les acteurs concernés, notamment la société civile. Le gouvernement doit ensuite créer l’Agence nationale spécialisée dont parle le projet, laquelle doit impérativement intégrer les jeunes de la région".

"L’adoption de ce projet en Conseil de gouvernement est un énorme pas pour le Maroc. A présent, il faut s'occuper de ses détails". 

Ensuite, "une étude de la plante autochtone marocaine appelée 'Beldia'", naturelle, "et qui contient un faible taux de THC doit être réalisée pour connaître les spécificités de celle-ci et ses constituants". "Il faudra également commencer par un projet pilote dans la zone, avec des agriculteurs volontaires, pour montrer à la population du Nord ses résultats", et pour faire disparaître leurs craintes. "Ces gens ont besoin d’un projet intégré, équilibré et durable".

M. Adebibe appelle également tous les ministères concernés par la question et la société civile à joindre leurs efforts, pour que ce projet n’échoue pas. "C'est un projet qui va apporter beaucoup de bien aussi bien au Maroc qu’aux cultivateurs de ces zones". Il insiste par ailleurs sur la nécessité de former les jeunes et les femmes de la région, qui vivent dans des situations très difficiles, ainsi que sur la diversification des cultures.  

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