Mohamed Tozy : “L'Etat doit faire confiance aux citoyens”

RAPPORT CSMD. Invité de Zakaria Garti, Mohamed Tozy revient, dans une interview, sur quelques interrogations suscitées par le rapport sur le Nouveau modèle de développement. Verbatim.

Mohamed Tozy : “L'Etat doit faire confiance aux citoyens”

Le 20 juin 2021 à 8h36

Modifié 20 juin 2021 à 18h22

RAPPORT CSMD. Invité de Zakaria Garti, Mohamed Tozy revient, dans une interview, sur quelques interrogations suscitées par le rapport sur le Nouveau modèle de développement. Verbatim.

Dans un échange avec Zakaria Garti et en présence d'autres journalistes, le professeur en sciences politiques Mohamed Tozy a répondu à des interrogations sur le rapport de la commission spéciale sur le modèle de développement. En voici les points principaux :

L'identité nationale

Sur la question de l’identité nationale exprimée dans le terme “tamghrabit” que le rapport essaye de promouvoir : “Je parlerais plutôt de vision partagée. La profondeur historique du Maroc est une chance mais nous ne devons pas nous y cloisonner” avance Mohamed Tozi, lui qui aime définir le Maroc comme “une communauté de communautés”.

Pour lui, “Cette vision prend sa source dans des exemples aussi différents que les écrits de Abdellah Guennoun, d'Edmond Amran El Maleh, d’Ibn Khaldoun dans Kitab Al-Ibar et dans les chansons de Nass El Ghiwan. C’est quelque chose de partagé entre les Marocains, ce n’est pas une vision qui est imposée d’en haut”. “Le rapport est parti de la conviction qui a émané des visites qu’a faites la CSMD dans les fins fonds du pays. Les Marocains partout ressentent ce sentiment” rapporte-t-il.

La doctrine

Expliquant les doctrines sur lesquelles s'est basée la commission, il précise : “La première référence du rapport, c’est la Constitution et l’Etat de droit”. “La deuxième référence, c’est que le citoyen est la principale composante du système,” poursuit-il.

“Il y a plusieurs doctrines intrinsèques que vous ne comprendrez que si vous lisez la totalité du rapport, comme le fait que dans les réalisations, il ne faut plus chercher la quantité au détriment de la qualité,” ajoute-t-il. Il insiste aussi sur l'importance du fait que “l’État doit faire confiance avant de contrôler”. “Ceci se ressentira sur les procédures administratives, les papiers demandés, etc., qui doivent s’alléger, il faut faire confiance au citoyen, le contrôle pourra se faire après” explique-t-il.

Gouvernance et système politique

Pour Mohamed Tozy, le grand problème du Maroc, c’est de “déterminer les responsables et les mécanismes de mises en responsabilité”. “Il faut donner le droit au responsable d’essayer, le droit à  l'erreur et combattre la croyance qui consiste en “Maddirch matkhafch” et qui se matérialise par des responsables tétanisés par la peur de l'échec," plaide-t-il. 

Selon lui, il y a deux approches dominantes concernant le rôle de l’État : “La raison d’État est soit politique et sécuritaire, qui privilégie la stabilité, soit économique qui privilégie le développement et la croissance”. “Notre rapport cherche un équilibre entre ces deux approches en y ajoutant la raison d'État écologique et humaine” dit-il. “Si on applique cette approche par exemple, on ne va pas planter des pastèques à Zagora. Car, c’est une raison purement économique qui néglige l’écologique et l’humain” avance-t-il.

Sur le rôle du wali dans les régions, il explique qu' "avec la régionalisation avancée, il faut pousser plus loin, un président de la région quand il veut exécuter un plan, il faut qu’il aille à Rabat convaincre chaque ministère à part. C’est là où le wali peut intervenir en tant que représentant du gouvernement”. “Il ne faut plus concevoir le wali en tant qu’agent d’autorité, c’est un agent de développement. Le wali devient l’exécutif de la région, il doit avoir la capacité à exécuter les plans qu’élabore le conseil régional" ajoute-t-il.

En réponse aux soupçons des partis sur le fait que ce rapport entend marginaliser le pouvoir exécutif, Tozy répond que “ces partis même qui étaient responsables de la mise en œuvre de la constitution, ne sont pas arrivés à en exploiter tout le potentiel”. “Cette confusion vient du fait que l’acteur politique n’ose pas appliquer la constitution et tout ce qu’elle permet” pense-t-il. 

Il ajoute que “rien n’interdit que n’importe quelle formation politique puisse élaborer quelque chose de différent et qu’elle mobilise autour de ses idées”. “On attend encore le pacte national, qui sera fait et élaboré par les partis. Ils peuvent en faire ce qu’ils veulent” propose-t-il.

A la question de l’un des journalistes qui pense que “le palais” est le seul vrai acteur politique dans le Royaume, Tozy répond “le Roi a la prérogative de dessiner la vision stratégique du pays, qui dépasse le mandat d’un gouvernement, c’est ce qu’essaye de faire ce rapport, en proposant une vision à l’horizon 2035”. 

Ajoutant que la notion de “palais” n’est pas claire et que personne ne peut réellement définir ce qu'elle signifie. Il pense que "le pouvoir quel qu’il soit ne peut jamais se faire individuellement et que chaque système politique est complexe avec des équilibres difficiles à décrypter", regrettant toutefois que la politique qui repose sur les institutions soit parfois marginalisée.

“Le rapport a évoqué le concept des zones grises dans la relation entre le Roi et le gouvernement, qui doivent être institutionnalisés, avec des règles claires,” rappelle-t-il.

Il déplore que “la constitution ait participé à promouvoir les contre-pouvoirs tels que la société civile et la presse, mais la mise en œuvre n'est pas allée jusqu’au bout. Sur le dossier de la démocratie directe et du droit de pétition, par exemple, les lois votées l’ont verrouillé au lieu de l’encourager”.

Manque de confiance et insécurité

Sur le manque de confiance dans la justice, Mohamed Tozy rappelle que “le rapport a évoqué le problème de l’insécurité judiciaire au Maroc”. Expliquant que l’indépendance de la justice a encore du chemin à faire car “il y a un problème dans la compréhension par les juges de la portée de leur indépendance”. “Le gouvernement avait mis au point 250 mesures pour consolider l’indépendance de la justice. On ne sait pas pourquoi ces mesures n’ont pas été appliquées,” regrette-t-il.

Sur la perte de confiance des citoyens vis-à-vis des institutions, il dit que “ce n’est pas seulement entre le peuple et le gouvernement, mais aussi au niveau des relations interpersonnelles au sein de toute la société”. “La perte de confiance n’est pas un indice stable. Par exemple, durant la crise du covid, la confiance est fortement remontée puis elle a baissé suite à quelques décisions incomprises. Le niveau de confiance changeait tout le temps en fonction des décisions prises,” poursuit-t-il. 

“Il n’y a pas de confiance entre les institutions,” déplore-t-il. “Quand le CESE fait continuellement des rapports sans être entendu, il se transforme naturellement en opposant,” ajoute-t-il. “La construction de la confiance nécessite de la bonne foi,” affirme-t-il.

En réponse à la question sur le sentiment d'insatisfaction que les citoyens ont par rapport aux réalisations du Maroc jusque là, il pense qu'  : “Il y a un fossé entre le groupe d'appartenance et le groupe de référence”, ajoutant que “le niveau d'attentes des citoyens est trop élevé”.

Sur la question de la liberté d’expression, il pense que : “le Maroc perd beaucoup en s’attaquant à liberté d’expression, la plupart des membres de la commission étaient de cet avis”. Dans sa propre analyse des faits, Tozy pense qu' “une partie du régime a estimé que le Maroc avait beaucoup fait auparavant pour promouvoir la liberté d’expression sans être récompensé par les observateurs internationaux tels qu’Amnesty et autres, qui sont restés très critiques vis-à-vis du Royaume”. Il ajoute que d'ailleurs, ce n’est pas exclusif au Maroc et que “c’est maintenant une tendance internationale qui s’installe même dans des pays occidentaux”. 

Tozy pense que “le contrôle ne permet pas de libérer les potentiels. Il doit y avoir un “safe space”, un droit à l’erreur”. A l’opposé, il explique que “ce sont les oppositions qui libèrent les potentiels et le Maroc en est riche”. “L’une des spécificités invariantes du Maroc, c’est qu’il sait gérer la diversité et qu’il a la capacité à résorber les dissidents en les intégrant,” se félicite-t-il. Ajoutant qu’il n’est pas mauvais d’avoir des dissidents car ce sont eux qui “apportent du sang nouveau dans le système”.

Les disparités sociales

Sur la problématique des disparités sociales, Tozy explique : “Que ce soit le référentiel libéral ou le référentiel religieux, qui dominent actuellement, tous les deux légitiment l’enrichissement sans limite”. “L’enrichissement illicite et la rente menacent la paix sociale,” ajoute-t-il. “Dans la conception libérale, ce qui est préconisé c’est donner les mêmes chances à tout le monde de réussir”, c'est ce que le rapport a retenu, selon lui.

“La classe moyenne est peu nombreuse si on ne prend pas en compte que l’économie formelle, mais on n’a pas de chiffres concernant l’économie informelle” regrette-t-il. Il évoque l’exemple d’un commerçant de Derb Ghallef qui peut gagner beaucoup plus qu’un couple de professeurs universitaires sans que celui-ci ne soit comptabilisé dans la classe moyenne.

Diagnostic 

Le politologue marocain  rappelle que “le rapport actuel est venu après une crise de vision” et après que “tout le monde ait commencé à dire que les réalisations en termes d’infrastructures ne s’accompagnaient pas de réalisations en termes de développement humain et de services publics”.

En réponse aux opinions critiques pour lesquels le diagnostic n’était pas assez fort et courageux, il précise qu' “il faut connaître la différence entre le courage et l’intempérance”. “Quand tu veux bâtir quelque chose de solide, il faut tenir compte de certains équilibres et alliances” poursuit-il.

“Dans le rapport principal, si quelques propositions vous paraissent peu courageuses, Il faut remonter le fil, c’est dans les annexes que vous trouverez les engagements, c’est cela qui importe le plus” affirme-t-il.

“Ce rapport doit être un outil de plaidoyer, il doit être un outil de mobilisation pour une ambition commune” recommande-t-il.

Méthodologie

En réponse à la question de comment éviter que le sort de ce rapport sur le NMD ne soit le même que celui du cinquantenaire, il explique que ce dernier était "un projet qui n’était pas clair pour qui il était destiné”, chose que le nouveau rapport a tenu à préciser, en insistant sur les aspects gouvernance et mise en œuvre. Néanmoins, il affirme que “le Maroc a enregistré des réalisations qui émanent des propositions du rapport du cinquantenaire tels que le développement des infrastructures et des industries et la régression de la pauvreté”.

Sur la composition de la commission, il rapporte que “il y avait une représentativité de toutes les sensibilités”. “Il y avait une approche participative, on a consulté plein de monde et aussi les équipes qui avaient travaillé sur différents documents tels que la constitution de 2011, le rapport de la commission de la réforme de la justice, la réforme de la Moudawana, etc. ” explique-t-il.” On a essayé d’apprendre des expériences passées” ajoute-t-il.

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