L’action humanitaire et les disruptions sociales à l’ère du SARS-CoV-2

Le 25 juin 2020 à 5h58

Modifié 10 avril 2021 à 5h06

« Nous n’avons pas eu le même passé, vous et nous, mais nous aurons le même avenir, rigoureusement. L’ère des destinées singulières est révolue. Nul ne peut vivre la seule préservation de soi ».

Cheick Hamidou Kane dans l’Aventure Ambigüe

La situation actuelle que vivent certains pays pauvres ou en proie à des conflits de toute nature met en exergue une réflexion menée il y a quasiment 20 ans par le Professeur Jacques Forster, alors vice-président du CICR (Comité international de la Croix-Rouge), que nous proposons de retranscrire à la lumière de la crise sanitaire mondiale provoquée par le SARS-CoV-2.

Dans ce cadre, il convient de rappeler que l’action humanitaire dans les situations de crise a longtemps été conçue et mise en œuvre dans la perspective principale de sauver des vies dans l’urgence. Cette logique répond à une conception inspirée surtout par l’expérience acquise dans les catastrophes naturelles. Ce type de crises a permis d’identifier de façon assez claire différentes phases et d’envisager diverses modalités d’intervention :

-une phase d’urgence où l’objectif est de sauver des vies et d’assurer la survie ;

-une phase de post-urgence immédiate où l’accent est mis sur la réhabilitation des systèmes dégradés ;

-une troisième phase de convergence vers une situation normale qui se traduit par un retour aux actions ciblant la promotion du développement, convoquant l’importance de la solidarité. A cet égard, Josep Borrell, haut représentant de l’Union pour la politique étrangère et la sécurité, a confirmé dernièrement, concernant la crise sanitaire provoquée par le SARS-CoV-2, la nécessité de l’Union Européenne de soutenir l’Afrique en mentionnant que « c’est d’abord une question de solidarité mais c’est aussi une question de sécurité tant pour l’Europe que pour l’Afrique. La pandémie n’a pas de frontières… ».

Cette approche ou cette façon de conceptualiser les crises paraît actuellement peu adaptée aux cataclysmes résultant de situations pandémiques à l’instar de l’épisode 2019-2020 du SARS-CoV-2, et ce, surtout dans le cas d’une conjonction de phénomènes différents, à savoir une crise sanitaire alliée à un contexte civil explosif à l’instar de ce que l’on observe dans diverses contrées.

En effet, dans le but de mieux apprécier la complexité de l’articulation entre l’urgence et le développement, il est peut-être nécessaire de soulever deux interrogations:

La première est de savoir si l’on peut parler d’urgence lorsqu’il s’agit d’une conjoncture qui dure longtemps sachant que l’être humain fait en général montre d’une résilience exceptionnelle ; résilience si bien illustrée dans le Pari d’Anton Tchekhov où, dans cette nouvelle, un banquier « tenait la peine de mort pour préférable à une peine à perpétuité ».

Appliquée à la période actuelle du coronavirus, Hitendra Wadhwa de la Columbia University en a fait une adaptation un brin provocatrice à travers le titre de son essai « Comment passeriez-vous 5 ans en quarantaine ». Il a ainsi réussi à rappeler la prééminence de la vie sur la mort et à démontrer l’incroyable faculté d’acclimatation de l’Homme.

“Life imprisonment still brings possibilities with it. Death is final. I would prefer life imprisonment, any day”

Hitendra Wadhwa in The Bet, 2020

Le deuxième questionnement concerne la pertinence de l’approche « urgence – réhabilitation – développement ». Certes, ce continuum présente des activités distinctes, mais qui ne se déroulent pas forcément dans cet ordre pouvant aller dans un sens, retournant dans l’autre, passant du développement à la réhabilitation ou à l’urgence.

>Face à ces situations, quelles sont en réalité les réponses que cherche à apporter l’action humanitaire ?

L’élément central consiste à assurer protection et assistance aux victimes de tout cataclysme moyennant une recherche de solutions et un dialogue structuré avec toutes les parties prenantes. Ce dialogue doit aboutir à la formulation de recommandations pour prévenir des conditions critiques.

Différentes approches sont déclinées pour couvrir les besoins d’assistance dont la sécurité économique qui ne comprend pas uniquement la fourniture traditionnelle d’aide alimentaire, mais aussi celle de moyens permettant aux populations d’assurer elles-mêmes a minima leur autonomie (fourniture de semences, de services vétérinaires ou toute autre mesure propre à faire redémarrer des activités économiques dans des conditions difficiles).

Revenons présentement à la question de l’articulation. Dans la coopération au développement, soit dans des situations courantes hors crises, on rencontre traditionnellement des difficultés à articuler les mécanismes à même de promouvoir le développement de façon cohérente, à coordonner les divers acteurs nationaux et internationaux et à intégrer véritablement l’action humanitaire internationale dans les politiques locales.

Ces mêmes problèmes se retrouvent, mais de façon évidemment plus aigüe dans des situations de post-crise appelant à une évaluation contextuelle lourde suggérant le fait de combiner diverses mesures pour atteindre simultanément des objectifs multiples et complexes. Il s’agit là d’assurer la sécurité des personnes, de satisfaire immédiatement leurs besoins fondamentaux, d’engager la réhabilitation des situations économiques et sociales dégradées, de mettre en œuvre ou remettre en marche des politiques de développement économique et de lancer de nouveaux processus favorisant la reconstruction d’une société civile forte.

Dans ce même cadre, une question centrale mérite que l’on s’y attarde, consistant à comprendre comment des instruments qui doivent apporter des résultats immédiats s’articulent avec des tâches de réhabilitation et de développement. Comment dans la crise, apporter une aide qui soit soutenable, c’est-à-dire des systèmes qui puissent être auto-entretenus par les institutions et les populations locales avec les moyens dont elles disposent, et ce, en songeant que, dès le moment où la crise sera finie, les acteurs essentiellement internationaux auront tendance à se retirer.

Comment peut-on donc donner des réponses durables à des problèmes devenus structurels dans la mesure où la réhabilitation et le développement comportent des dimensions multiples :

économiques avec la reprise des activités productives et le passage à une économie véritablement résiliente au travers de la déclinaison de modèles de développement innovants ;

sociales avec l’appui aux populations sinistrées et la reconstruction de la société civile ;

politiques avec notamment la lutte contre les inégalités et l’impunité.

Ces différentes dimensions ne peuvent évidemment pas être envisagées indépendamment les unes des autres dans la mesure où l’ensemble des parties prenantes doit œuvrer de façon à ce que chacune d’entre elles puisse se concentrer sur la base de ses compétences et de ses avantages comparatifs en dehors de toute autre considération pouvant favoriser une visibilité à tout prix à même de générer des conséquences néfastes sur l’efficacité de l’action humanitaire.

Dans ce complexe de questions, il convient aussi de s’interroger quant à la nature des liens entre les acteurs locaux, nationaux et internationaux dans le domaine de l’aide humanitaire et de l’action d’urgence dans la mesure où, en raison de la nécessité d’aller vite et de mettre en œuvre des dispositifs bien rodés, la relation entre fournisseur(s) d’aide et receveurs d’aide est asymétrique, laissant peu de place aux dispositifs locaux lorsqu’ils existent.

En conséquence, le défi de l’action humanitaire dans des situations de crise est d’avoir de la part des intervenants extérieurs le réflexe d’intégrer pleinement les acteurs locaux et de la société civile pour une meilleure compréhension du contexte d’intervention, mais également pour les préparer à jouer un rôle réel dans la reconstruction économique et sociale attendue en les associant notamment à la formulation des programmes et des projets qu’ils sont amenés à reprendre, et ce, en fonction des ressources existantes et/ou mises à disposition.

En conclusion, il faudrait, en complément aux solutions techniques que l’ingénierie de crise peut apporter, accorder une place conséquente à une meilleure connaissance des contextes et des structures locales tout en développant la conscience et la volonté des intervenants extérieurs de prendre au sérieux la participation des acteurs autochtones à la reconstruction de leur environnement, et ce, en gage d’une bonne articulation entre urgence et développement.

Toute crise revêt certes de multiples facettes, mais nécessite simultanément un traitement inclusif pour pouvoir dépasser les vicissitudes en découlant.

Les bailleurs de fonds internationaux ont, dans ce cadre, souvent du mal à structurellement supporter plusieurs causes simultanément et le grand danger demeure celui de voir de nouveaux fonds venir en substitution de ceux déjà dédiés à des problématiques vitales préexistantes pour tenter d’enrayer les seuls effets directs symptomatiques d’un cataclysme donné - la pandémie du SARS-CoV-2 en est un parfait exemple - en faisant abstraction des impacts indirects, induits et surtout systémiques qui restent partie intégrante d’une réponse soutenable.

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