Dr Max Gallien

Chercheur à l'Institute of Development Studies et au Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD).

Dr Umair Javed

Professeur assistant en politique et sociologie à la Lahore University of Management Sciences au Pakistan.

Soukayna Remmal

Chargée de recherche au sein du Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD).

Dr Vanessa van den Boogaard

Chercheuse à la Munk School of Global Affairs et au Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD).

Les Marocains accepteraient-ils un fonds d'État pour la zakat ? Le devraient-ils ?

Le 22 octobre 2021 à 12h18

Modifié 22 octobre 2021 à 17h29

La zakat peut rapporter gros. Bien que les estimations varient, celles-ci semblent indiquer que les dépenses mondiales annuelles en termes de zakat sont supérieures au volume de l'aide au développement annuelle.

Une étude menée en 2014 estimait le potentiel de la zakat distribuée au Maroc à plus de 40 milliards de DH, ce qui représente plus de trois fois le budget annuel de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Il n’est donc pas surprenant que le Maroc se joigne aux Etats cherchant à "exploiter" les revenus de la zakat en créant un fonds de zakat géré par l’Etat.

Le nouveau chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a déjà fait valoir que l'existence d'une "institution sérieuse" mettrait les contribuables en confiance et augmenterait le paiement de la zakat. Il proposait ainsi que ces fonds soient dédiés à l’amélioration du secteur de la santé et plus particulièrement au traitement des maladies chroniques.

Si la plupart des pays à majorité musulmane ont déjà mis en place une sorte de fonds officiel pour la zakat auquel la contribution est soit obligatoire (Arabie saoudite, Pakistan, Malaisie), soit volontaire (Koweït, Égypte, Jordanie), l’efficacité de ces fonds publics n'est toutefois pas garantie. En effet, nos études conduites au Pakistan et en Égypte soulignent que les fonds de la zakat des deux pays sont relativement inefficaces et impopulaires. Dans les deux cas, les paiements à ces fonds sont comparativement faibles, et les préoccupations citoyennes, notamment en matière de transparence, sont importantes.

Comment le Maroc peut-il éviter ces défis ? La zakat est-elle un moyen approprié pour financer les lacunes du secteur de la santé ? Les Marocains accepteraient-ils un fonds géré par l'État ? Nous explorons ces questions sur la base de nouvelles données d'une enquête originale capturant les opinions d'un échantillon représentatif au niveau national de 1.500 Marocains et Marocaines à l'automne 2020. Nous soutenons que pour qu'un fonds de zakat soit performant, l'Etat devra renforcer la confiance des citoyens et accepter la diversité des moyens par lesquels ceux-ci choisissent de donner leur zakat.

La zakat au Maroc

Seulement 11% des personnes interrogées ont déclaré avoir payé la zakat au cours de l’année précédente. Naturellement, le pourcentage de personnes ayant payé était plus élevé parmi ceux qui y étaient éligibles. Il convient toutefois de noter que nous avons remarqué une certaine confusion des répondants par rapport à leur éligibilité au paiement de la zakat.

En ce qui concerne la distribution de la zakat, nos résultats indiquent que la plupart des Marocains distribuent leur zakat auprès de bénéficiaires avec lesquels ils ont un lien personnel, généralement les membres de leur famille, de leur voisinage ou de leur tribu et groupe de parenté. Cela est également reflété par le fait que plus d'un tiers des répondants (37%) considèrent qu'il est important de connaître personnellement les bénéficiaires de leur zakat.

Quel rôle pour l'Etat ?

Étant donné que de nombreux Marocains considèrent la zakat comme étant une obligation individuelle, dans quelle mesure seraient-ils alors ouverts à l'idée que l'État joue un rôle plus important dans son administration ?

Un premier élément prometteur pour les partisans du fonds d’Etat est que près de la moitié (45%) des Marocains interrogés-indépendamment du fait qu’ils paient effectivement la zakat ou pas- ont déclaré que l’Etat devrait assumer la responsabilité principale dans l’organisation de la zakat. Cependant, dans un même temps, un tiers de nos répondants (33%) considèrent que la responsabilité première de l'organisation de la zakat incombe aux individus eux-mêmes plutôt qu'à l'Etat. Par conséquent, et ce au moins pour une partie importante de la population, une incertitude demeure quant au choix des contribuables de la zakat d’adhérer ou non à un fonds étatique si celui-ci venait à exister.

La confiance citoyenne : un élément clé

Quel que soit le mécanisme d’institutionnalisation de la zakat qui sera choisi, une chose est sûre, la façon dont ce fonds sera géré influencera certainement la contribution des citoyens.

Nous avons demandé à notre échantillon de répondants ce qui les inciterait le plus à contribuer à un hypothétique fonds pour la zakat. Si une minorité des personnes interrogées (20%) a souligné qu'elle ne contribuerait jamais à un fonds d'État, beaucoup d'autres ont noté qu'ils envisageraient d’y contribuer s'il y avait suffisamment de garanties contre la corruption (30%) et plus d'informations sur la façon dont les fonds collectés seront utilisés (20%). La bataille de la confiance citoyenne s’annonce donc difficile. Cela est étayé, par ailleurs, par d’autres éléments révélés par notre étude. Ainsi, lorsque nous avons demandé à nos répondants s'ils faisaient confiance au gouvernement pour collecter un autre paiement – en l’occurrence les impôts - la majorité n'était pas d'accord.

Conclusions

Ces résultats suggèrent d’importantes leçons pour le fonds de zakat potentiellement prévu au Maroc. Tout d'abord, il sera crucial que tout nouveau fonds soit structuré de manière à instaurer la confiance des citoyens et à garantir transparence et responsabilité. Cela pourrait se faire par le biais de rapports détaillés, ou en donnant aux contribuables des options quant à qui bénéficiera de leurs paiements, comme cela se fait au Koweït à titre d’exemple.

Deuxièmement, il est important de reconnaître la dimension personnalisée que les individus semblent avoir vis-à-vis de leur don de zakat au Maroc. Il sera important pour les décideurs marocains de reconnaître qu'un fonds d'État, une fois établi, ne sera qu’une option parmi d’autres pour les Marocains et Marocaines souhaitant distribuer leur zakat. Certains conserveront ainsi leur préférence pour des canaux plus personnels en lesquels ils ont davantage confiance.

Outre la perception citoyenne d'un fonds de l’état pour la zakat, une question fondamentale émerge quant au rôle même de la zakat dans les finances du Maroc. Est-il approprié pour le gouvernement de combler des lacunes dans le financement de son système de santé par les revenus d'une obligation religieuse individuelle ? Une alternative évidente ici serait de se concentrer sur des réformes fiscales. Bien que la zakat présente certaines similitudes avec l’impôt sur la fortune, elle ne devrait pas se substituer à un impôt officiel, mais plutôt le compléter. De ce fait, lorsque nous avons demandé à notre échantillon de répondants si le gouvernement devait utiliser les impôts sur les plus riches afin d'améliorer les services publics, plus de 85% des répondants étaient d'accord. Cela suggère que la décision d'introduire un fonds de zakat géré par l’Etat ne devrait pas annuler la nécessité de réformes fiscales pour répondre aux besoins critiques de dépenses publiques dans le secteur de la santé et autres.

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