L’heure d’une refonte financière mondiale

Le 24 avril 2018 à 15h20

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

NEW YORK– En 2015, les Etats membres des Nations Unies ont uni leurs forces en s’engageant à atteindre un ensemble global et universel de 17 Objectifs de développement durable (ODD), qui couvrent toutes les dimensions du développement économique et social.

Il sera indispensable d’investir pour atteindre les ODD, qui visent à éradiquer la pauvreté et la famine, à lutter contre les changements climatiques, à bâtir des infrastructures résilientes, ainsi qu’à promouvoir une croissance économique durable. Seulement voilà, trois ans après l’annonce de ces objectifs, nous sommes encore loin d’exploiter suffisamment nos systèmes financiers dans la poursuite des ODD.

En coordination avec près de 60 agences et institutions internationales, l’ONU a récemment publié une évaluation des avancées mondiales dans la transformation de la finance, des politiques et des réglementations sur la voie des ODD. Ces travaux révèlent qu’en dépit de l’actuelle dynamique positive des investissements durables, les objectifs ne pourront être atteints que si nous réorientons l’ensemble du système financier vers des horizons d’investissement à plus long terme, tout en faisant de la durabilité une préoccupation centrale. Sans une vision à long terme, un certain nombre de risques, associés notamment aux changements climatiques, ne seront pas pris en compte dans les décisions d’investissement privé.

Bien que les flux financiers internationaux soient très nombreux, la qualité des investissements a également son importance. Actuellement, les modèles d’investissement à court terme conduisent à la volatilité des marchés de capitaux et des taux de change, ainsi qu’à une augmentation significative des coûts et risques liés aux investissements durables, notamment pour les pays en voie de développement. En créant des mécanismes incitatifs permettant de canaliser les flux de financement en direction de projets d’infrastructures à long terme– réseaux routiers, ponts, systèmes d’eau courante et de traitement des eaux usées –nous contribuerions considérablement à la fois au développement et à la stabilité.

Ces projets d’investissement devront par ailleurs s’avérer plus durables sur le plan environnemental et social. Dans la mesure où les investissements d’aujourd’hui, notamment dans les systèmes d’énergie, sont voués à verrouiller les voies de développement pour les décennies à venir, il faut accomplir davantage pour veiller à ce que les investissements d’aujourd’hui et de demain ne mettent pas à mal les efforts de lutte contre les changements climatiques. Par ailleurs, comme pour toutes les politiques économiques, l’égalité des sexes doit devenir une considération centrale.

Transformer la finance ne sera pas chose facile. Les marchés de capitaux actuels sont largement axés sur le court-termisme, comme l’illustrent la volatilité des flux de capitaux et la courte période de détention des actions sur certains marchés développés, qui a chuté d’une moyenne de huit ans dans les années 1960 à seulement huit mois aujourd’hui. Et tandis que les investisseurs institutionnels à long terme détiennent pour environ 80.000 milliards d’actifs, dont près de la moitié représente des dettes à long terme, environ 75% sont détenus dans des instruments liquides, contre seulement 3% dans les infrastructures.

Cette même tendance prévaut dans l’économie réelle. En 2016, les entreprises du S&P 500 ont dépensés plus de 100% de leurs bénéfices dans des dividendes et des rachats d’actions, ce qui a élève le prix des actions à court terme, plutôt que la valeur à long terme via l’investissement. Un sondage du McKinsey Global Institute a révélé que 87% des dirigeants et administrateurs d’entreprise ressentaient la "pression de démontrer de solides performances financières en deux ans ou moins", tandis que 65% affirment que "la pression à court terme a augmenté ces cinq dernières années". Par ailleurs, 55% des répondants ont expliqué qu’ils reporteraient leurs investissements des projets à rendements positifs, afin d’atteindre leurs objectifs trimestriels de bilan.

Réorienter les investisseurs d’une pensée court-termiste à une approche sur le long terme constitue une condition préalable pour atteindre l’ensemble de nos objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Mais le secteur privé n’opérera pas cette transition à lui seul. Les responsables politiques doivent intervenir et apporter leur leadership. Les marchés ne peuvent fonctionner de manière équitable et favorable aux intérêts du public sans la mise en place de règles bien pensées et correctement mises en œuvre par les gouvernements. Outre l’investissement public, il s’agit là de l’une des fonctions les plus essentielles de l’Etat.

La transformation de la finance mondiale nécessitera plus précisément un certain nombre de changements dans les réglementations prudentielles, les contraintes de capitaux, la culture d’entreprise et d’investissement, ainsi que dans la rémunération des dirigeants, ce qui exigera des indicateurs plus appropriés à long terme. Seront également nécessaires plusieurs réformes dans les pratiques comptables, notamment pour les investissements illiquides, afin de réduire par exemple le penchant court-termiste introduit par la comptabilité de mise à la valeur de marché. Les investisseurs institutionnels doivent par ailleurs adopter une interprétation plus large de l’obligation fiduciaire, qu’il s’agirait d’axer sur le long terme et l’incorporation de tous les facteurs qui exercent un impact significatif sur les rendements, qu’ils soient financiers, environnementaux, sociaux ou politiques.

Il nous reste encore 12 ans, ce qui semble laisser au monde largement assez de temps pour progresser en direction des ODD. Or, les expériences passées de l’ONU dans le cadre d’initiatives axées sur des objectifs démontrent combien il est important de prendre des mesures décisives très tôt dans le processus. Difficulté supplémentaire, l’escalade des tensions géopolitiques et commerciales menace de provoquer un recul plutôt qu’une avancée. Ces désaccords ne doivent pas faire obstacle à l’accomplissement des ODD et à la construction d’un avenir durable.

Par-dessus tout, l’avenir a besoin d’être financé. Bien que de nombreuses institutions publiques et privées aient d’ores et déjà commencé à changer, à différents niveaux de la finance internationale, le système financier dans son ensemble doit encore opérer le type de transformation nécessaire. Nous sommes tous d’accord sur ce qu’il convient de faire; il nous faut désormais agir.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2018
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