Samir Bennis

Conseiller politique à Washington D.C., rédacteur en chef de Morocco World News.

Pourquoi la présence du Maroc dans la coalition arabe au Yémen est justifiée

Le 11 juin 2015 à 0h04

Modifié 9 avril 2021 à 20h31

New York- En mars dernier, les Marocains ont appris que leur gouvernement avait décidé de participer à la coalition militaire, dirigée par l'Arabie Saoudite, dont la mission est de lutter contre les rebelles Houthis et restaurer la légitimité au Yémen. Ainsi, le Maroc a envoyé quelques avions de guerre pour prendre part à cette campagne militaire. Depuis, en l'absence d'un débat serein sur la pertinence de la participation du Maroc dans cette campagne militaire, les Marocains ont été divisés entre ceux qui soutiennent la présence de leur pays dans la coalition et ceux qui s'y opposent.    

En dépit de la participation du Maroc dans les frappes aériennes contre les Houthis, peu de Marocains étaient conscients de l’enjeu de cette guerre, et, des raisons qui ont poussé Rabat à faire partie de la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite. Ce ne fut qu’après le crash de l'avion du pilote marocain Yassine Bahti que le débat sur la participation du Maroc dans la guerre a fait surface.

Tout d'un coup, les Marocains ont réalisé que leur pays avait pris part à une campagne militaire depuis le 24 mars. Une bonne partie d’entre eux a commencé à remettre en question la pertinence de la décision de participer à une guerre qui n’est peut-être pas "notre guerre." Ces opposants ont remis en question l’intérêt du Maroc dans cette guerre et ont appelé le gouvernement à reconsidérer sa décision.

L'idée principale qui ressort des commentaires de ses derniers consiste à dire que, «étant géographiquement loin du Yémen, le Maroc ne devrait pas s’impliquer dans cette guerre, mais devrait plutôt se concentrer sur ses propres problèmes internes et externes».

Au milieu de la vive émotion causée par la mort du pilot marocain, on peut comprendre les critiques faites à l’encontre du gouvernement pour avoir «laissé nos fils mourir pour des problèmes qui ne sont pas les nôtres."

Mais est-ce que le Maroc n’est pas vraiment concerné par ce qui se passe au Yémen ? Devrait-il tout simplement regarder ailleurs et ne pas s’impliquer dans le rétablissement de la légitimité dans ce pays «lointain» ? Devrait-il ignorer l'appel de ses alliés stratégiques et faillir aux engagements contenus dans les accords bilatéraux qu’il a signés avec eux ? Devrait-il sacrifier ses relations avec les pays du Golfe pour se concentrer sur ses «propres problèmes de politique étrangère»?

Le Maroc a tout intérêt à la stabilité des pays du CCG

Répondre à ces questions est d'une importance primordiale afin de permettre à tous les Marocains de bien comprendre pourquoi leur pays s'est impliqué dans la campagne militaire au Yémen et pourquoi sa participation est justifiée.

D’emblée, l'argument selon lequel l’armée marocaine ne devrait pas participer à cette guerre sous prétexte que le Yémen ne représente pas d’intérêt de politique étrangère pour le Maroc est infondé. En fait, les intérêts étrangers du Maroc sont étroitement liés aux intérêts des pays de la péninsule arabique. Sa participation dans un tel effort arabe le positionne comme un membre actif de la Ligue arabe, ainsi qu’un important acteur régional. Cette participation au Yémen, couplé avec l’organisation au Maroc au cours des dernières années de plusieurs évènements internationaux et régionaux, tels que les pourparlers entre les factions libyennes belligérantes, et ses efforts de médiation au Mali, font du Maroc un des acteurs les plus influents en Afrique et dans le monde arabe.

Etant donné que la position de l'Egypte comme leader du monde arabe est en déclin, le Maroc- considéré comme étant un des rares centres de stabilité dans le monde arabe- est appelé à jouer le rôle de stabilisateur de la région.

Or l'un des objectifs de la coalition est d’endiguer à l'influence iranienne croissante dans la région. La coalition a pour objectif de défendre les Etats arabes du Golfe contre tout débordement de l'instabilité au Yémen. Le Maroc a tout intérêt à empêcher l'Iran d'étendre son influence à d'autres pays arabes, en particulier dans les pays du CCG (Conseil de coopération du golfe) avec lesquels il partage une myriade d’intérêts géostratégique, économique, et religieux.

Bien qu'il soit géographiquement l'un des pays arabes les plus éloignés de l'Iran, le Maroc n’est pas à l'abri des agendas et des visées hégémoniques de ce pays. On se rappelle comment l'Iran avait essayé ces dernières années de répandre son idéologie au Maroc, ce qui a poussé Rabat à rompre ses relations avec Téhéran en 2009.

Un autre élément qui doit être pris en compte dans le débat sur la pertinence de la participation du Maroc dans la coalition arabe au Yémen est que, à travers sa présence dans cette coalition, Rabat remplit l'un des engagements qu’il a pris le 25 mars au Sommet arabe de Charm el-Cheikh, lorsque le les membres de la Ligue arabe ont décidé de créer une force militaire arabe commune. Selon un communiqué publié par la Ligue, ces contingents devraient être "déployés à la demande de toute nation arabe confrontée aux menaces à sa sécurité nationale et de lutte contre les groupes terroristes."

Par ailleurs, le Maroc honore ses engagements tels que convenus dans l'accord de coopération militaire signé avec les Emirats Arabes Unis en 2006. En vertu de cet accord, qui fut ratifié par le Parlement marocain en décembre 2014, le Maroc s’engagé à fournir un soutien militaire, sécuritaire, et logistique aux Emirats Arabes Unis pour les aider à lutter contre le terrorisme et préserver la paix et la stabilité régionale et internationale.

Cette coopération sécuritaire et militaire entre le Maroc et les pays du Golfe a toujours existé. Pendant des décennies, le Maroc a formé les militaires de ces pays et contribué à leur sécurité. Par exemple, les soldats marocains ont, pendant des décennies, été déployés dans les Émirats Arabes Unis et ont participé à la formation des soldats émiratis.

Importance du CCG pour le Maroc

Il ne fait aucun doute que le Maroc a un grand intérêt dans la paix, la sécurité et la stabilité des pays du Golfe. Toute instabilité dans la région pourrait avoir de graves répercussions sur le royaume. Une des répercussions de ce scénario serait une augmentation soudaine et brutale des prix du pétrole, ce qui aurait un impact négatif à long terme sur l'économie marocaine. Le progrès réalisé récemment par le Maroc grâce à la diminution des prix du pétrole serait menacé, ce qui pourrait plonger le pays dans un profond marasme économique. En outre, ce scénario pousserait les pays du Golfe à consacrer davantage de ressources financières à leurs budgets de défense, et à être moins orientés vers l’investissement dans des pays tels que le Maroc.

D'autre part, n’oublions pas que le Maroc a longtemps été parmi les principaux bénéficiaires de l'aide financière octroyée par les pays du CCG. De temps en temps, nous entendons ici et là que un de ces pays a accordé un don au Maroc pour financer une variété de programmes ou de projets. Une étude récente publiée par le Fonds monétaire international (FMI) montre que le Maroc était le septième plus grand bénéficiaire de l'aide financière accordée par le gouvernement saoudien au cours de la période 2011-2014, recevant la somme 488 millions de dollars.

Aide financière du CCG vs «aide» financière occidentale

Et ce que nous devrions garder à l'esprit quand on parle d’aide ou de prêt est que les dons accordés par les pays du CCG sont de véritables dons que le Maroc n'a pas à rembourser avec des intérêts ou à utiliser pour acheter des marchandises en provenance de ces pays. La politique adoptée par les pays du CCG (avec le Maroc) est opposée à la politique adoptée par les pays européens et occidentaux avec les pays en développement, d'une manière générale.

En fait, lorsque la France ou l'Espagne font un don ou accordent un prêt au Maroc, les fonds mis à sa disposition ne sont généralement pas accordés pour permettre au royaume de les canaliser vers la construction d'infrastructures, d’écoles, d’hôpitaux, de routes ou de les investir dans des projets générateurs d'emplois. Ces prêts/dons sont généralement mis à disposition du Maroc dans le cadre de ce qui est connu comme «aide liée». En d'autres termes, les prêts sont consentis pour faciliter le financement de l’achat par le Maroc des importations en provenance de ses partenaires occidentaux.

Dans ce cas de figure, le Maroc perd sur deux fronts : d'abord, les fonds qu’il reçoit de ses homologues occidentaux doivent être remboursés avec des intérêts ; deuxièmement, ces fonds ne permettent pas au pays de faire des avancées dans les secteurs vitaux qui ont besoin de quantités importantes de financement. Morale de l’histoire : ces prêts ne contribuent nullement à la création d'emploi ni à atténuer le problème du chômage, surtout chez les jeunes. Bien au contraire, ils ne font que alourdir l’endettement du pays et aggraver sa balance commerciale, ainsi que sa dépendance des importations en provenance de ses partenaires occidentaux.

Les seuls bénéficiaires de cette «aide liée» sont les pays occidentaux qui trouvent un débouché pour écouler leurs exportations et reçoivent des remboursements de leurs prêts, en plus de la sauvegarde de leur marché d'emploi. Les économistes sont unanimes à dire que les seuls bénéficiaires de cette «aide» sont les bailleurs de fonds.

Partenariat stratégique entre le Maroc et le CCG

Dans le sillage de ce qu’on appelle le Printemps arabe, le Maroc a signé un partenariat stratégique avec les pays du CCG. Cet accord vise à la fois à raffermir les liens économiques entre le Maroc et les pays du Conseil, ainsi qu’à renforcer la sécurité et la coopération militaire entre les deux camps.

En 2012, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Qatar et le Koweït ont convenu d’accorder 5 milliards de dollars au Maroc pour l’aider à financer des projets structurants, de renforcer son économie et son secteur touristique. Depuis 2012, l'argent fourni par les membres du CCG a également joué un rôle important dans l'apaisement des tensions sociales dans le pays.

Par ailleurs, l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Koweït ont également fourni au Maroc une aide financière pour la construction du train à grande vitesse (TGV). En revanche, la France participe au projet par le biais de prêts qui seront remboursés avec des intérêts tout en sachant que ce sont des compagnies françaises qui veilleront à la réalisation de ce projet. Dans ce cas encore, tandis que les fonds fournis par les pays du CCG iront à la construction d'un projet d'infrastructure d’envergure, «l’aide» fournie par le gouvernement français lui sera remboursée avec des intérêts, tout en lui permettant de créer des emplois en France et de trouver des débouchés à son industrie.

Eu égard aux largesses octroyées au Maroc par les pays du Golfe, il est du devoir de Rabat d’apporter son assistance militaire et sécuritaire à ses alliés en cas de besoin.

Relation entre le Roi Mohammed VI et les familles régnantes du Golfe

En outre, l'un des facteurs les plus importants à prendre en compte dans les relations entre le Maroc et le CCG est les relations fraternelles qui existent entre la famille royale marocaine et les familles royales du CCG. Dans les relations internationales, les liens personnels entre les chefs d'Etat sont d'une grande importance et peuvent jouer un rôle important dans les choix faits par les décideurs. Ces excellentes relations sont pour le Maroc une soupape de sécurité importante quand le pays est confronté à des problèmes financiers aigus. Par exemple, alors que le Maroc fut confronté à l'une de ses plus graves crises financières au début des années 1980 amenant le pays au bord de la cessation de paiement, c’est l'Arabie qui a aidé Maroc à surmonter cette situation. Riyad a aussi aidé Rabat dans la construction du mur de sable dans le Sahara, en plein guerre entre le Maroc et le polisario au milieu des années 1980.

En ce qui concerne le Sahara, grâce à leur position vitale sur le marché du pétrole, les pays du CCG, notamment l’Arabie Saoudite, peuvent jouer un rôle important pour aider le Maroc à dissuader les membres influents du Conseil de sécurité de l’Onu d'adopter des positions qui vont à l’encontre de ses intérêts.

Comme je l’avais souligné dans article publié sur Morocco World News en avril 2013, il est probable que la solidarité des pays du CCG avec le Maroc ait joué en en faveur de ses intérêts, ce qui a probablement amené Washington à reconsidérer le projet de résolution qu'elle avait présenté au Conseil de sécurité, dans lequel elle appelait à la mise en place d'un mécanisme de surveillance des droits de l’Homme dans le Sahara.

A la lumière de ce qui précède, il n'y a pas de doute que la décision du Maroc de répondre à l'appel de solidarité de ses alliés stratégiques du CCG et de soutenir l'effort militaire au Yémen est justifiée. Autrement dit, les Marocains ne peuvent s’attendre à bénéficier de la solidarité de ces pays sans rien donner en retour. Autant que le Maroc a besoin des flux financiers du CCG pour équilibrer son budget en temps de crise et financer ses projets structurants, ces pays ont besoin du Maroc dans leur politique sécuritaire, ainsi que dans leur lutte contre le terrorisme ou contre les groupes déstabilisateurs, tels que les rebelles Houthis.


 

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