Jihad Azour, FMI: Le Maroc doit investir davantage dans le social et le capital humain

INTERVIEW. Directeur du département MENA et Asie centrale du FMI, Jihad Azour estime que les priorités pour le Maroc restent de protéger la vie humaine et de maintenir la stabilité sociale et économique. Selon lui, le Maroc doit accélérer un certain nombre de réformes, comme la refonte du système social. Pour lui, il faut investir davantage dans le capital le plus productif, qui est le capital humain. Pour ce faire, sans altérer les équilibres macroéconomiques, le Maroc doit revoir ses priorités budgétaires et dégager des marges de manœuvre.

Jihad Azour, FMI: Le Maroc doit investir davantage dans le social et le capital humain

Le 10 février 2021 à 19h04

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

INTERVIEW. Directeur du département MENA et Asie centrale du FMI, Jihad Azour estime que les priorités pour le Maroc restent de protéger la vie humaine et de maintenir la stabilité sociale et économique. Selon lui, le Maroc doit accélérer un certain nombre de réformes, comme la refonte du système social. Pour lui, il faut investir davantage dans le capital le plus productif, qui est le capital humain. Pour ce faire, sans altérer les équilibres macroéconomiques, le Maroc doit revoir ses priorités budgétaires et dégager des marges de manœuvre.

Ancien ministre des Finances du Liban entre 2005 et 2008, Jihad Azour est depuis 2017 directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international. Il supervise le travail du FMI au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie centrale et dans le Caucase.

Il est ainsi le principal interlocuteur des autorités financières et monétaires marocaines et connaît bien la situation économique du pays. Les rapports économiques sur le Maroc, sur la gestion de la crise Covid, le suivi de la Ligne de précaution et de liquidité, c’est lui qui les chapeaute.

Dans cette interview, il nous donne son appréciation de la situation économique du Maroc, de sa gestion de la crise Covid, de comment il perçoit la montée du déficit budgétaire du pays et de son endettement, et nous parle des priorités pour l’année 2021 et des pistes de relance sur lesquelles le Maroc doit miser pour à la fois répondre à cette crise qui dure encore, tout en maintenant sa stabilité économique et sociale.

- Medias24 : La crise Covid a eu un grand impact sur l’économie marocaine, qui a enregistré une des plus fortes récessions de la région, avec une montée du déficit budgétaire et de l’endettement du pays. Quel regard portez-vous sur cette situation et sur la gestion de la crise par le Maroc ?

- Jihad Azour : En fait, le Maroc a fait face en 2020 à deux crises : la sécheresse et la pandémie. Ces deux crises combinées ont eu un impact sur la croissance. Nos projections pour 2020 prévoient une récession de 7%, mais on prévoit pour l’année 2021 un retour à une croissance de 4,5%.

Bien entendu, les déficits ont été affectés. Mais le point positif, c’est les transferts des expatriés qui se sont montrés assez stables avec une baisse des importations, ce qui a réduit les besoins de financement externes du royaume et ont permis de préserver un niveau confortable des réserves de devises.

Le déficit budgétaire a été toutefois sous pression à cause d’une relative baisse des recettes fiscales. Mais le gouvernement a mis en place un certain nombre de mesures pour à la fois répondre à la crise tout en préservant la stabilité financière du pays.

Ces mesures ont permis de préserver des vies humaines et ont permis aussi, grâce à l’innovation de l’approche marocaine, de maintenir la stabilité d’un certain nombre d’activités. Le Maroc a développé un certain nombre de dispositions pour faire face à la crise, a mobilisé un effort collectif qui a permis aux forces vives de la nation de participer à l’atténuation des effets de la crise.

Le Maroc a réussi à gérer deux crises (Covid et sécheresse) et à maintenir à la fois sa stabilité financière et sa capacité à soutenir l’économie

Vu la présence d’un secteur informel, le pays a aussi mis en place des mécanismes innovants avec le transfert par des moyens de téléphonie des aides à plus de 5 millions de familles.

Il y a eu une réponse bien synchronisée entre l’Etat, le budget et Bank Al-Maghrib pour répondre à la fois aux nécessités sanitaires, aux nécessités économiques et aux nécessités sociales, surtout des groupes les plus fragilisés, tout en maintenant une stabilité financière.

Grâce aux efforts fournis sur la dernière décennie, le Maroc a réussi ainsi à faire face à deux crises concomitantes. Il a réussi à les gérer et à maintenir à la fois sa stabilité financière et sa capacité à soutenir l’économie.

Et ceci a été complété par un certain nombre de mesures financières qui ont agi sur la liquidité, comme le tirage sur la LPL. Le pays a su maintenir la confiance des marchés internationaux, ce qui lui a permis de faire une émission de 3 milliards de dollars. Cette émission a permis de préfinancer les besoins de financement de l’année 2020 et a permis au Maroc de bénéficier des conditions favorables des marchés des capitaux.

Dans l’ensemble, on a observé une gestion et une capacité à répondre qui était efficace, ce qui a permis au Maroc non seulement de répondre à la crise, mais de développer un certain nombre d’innovations au niveau économique, avec une rapidité dans l’ajustement du secteur productif pour prendre en charge les nouveaux besoins, comme la production de masques.

Pour 2021, l’élément important, c’est l’accès au vaccin et sa distribution et la lutte contre la deuxième vague. Le deuxième élément qui est important, c’est la capacité de maintenir une politique de soutien, notamment aux secteurs les plus affectés comme le tourisme, et maintenir la politique mise en place par Bank Al-Maghrib au niveau du soutien à la liquidité. Il faut aussi concrétiser l’ensemble des réformes lancées, comme la réforme sociale qui est très importante pour la stabilité sociale. C’est une réforme structurelle qui permettra au Maroc d’avoir un système social moderne et efficace.

- Vous ne vous inquiétez pas quand vous voyez que l’endettement du pays est passé à 78% du PIB, alors que la norme que vous fixez est de 60% ? Etes-vous confiant en la capacité du Maroc à infléchir la courbe du déficit budgétaire et de l’endettement sur les prochaines années ?

L’endettement est certes un problème. Mais c’est un problème qui n’est pas seulement marocain, il est global. On a vu avec cette crise qui a affecté la croissance et les déficits une augmentation du niveau de l’endettement qui nous préoccupe globalement. Ceci concerne la région aussi, surtout dans un certain nombre de pays qui avaient des niveaux d’endettement élevés avant la crise. Ce qui n’est pas le cas du Maroc.

Mais actuellement, les priorités restent de protéger la vie humaine et de maintenir la stabilité sociale et économique. C’est la première priorité. Il faut aussi gérer les grands équilibres économiques et maintenir une politique macro-économique dans la même direction qui a été celle du Maroc ces dix dernières années, malgré l’augmentation de l’endettement en 2020.

Il faut dire que les réformes qui ont été mises en place ces dernières années, surtout celle des changes ainsi que la réforme des finances publiques au niveau des subventions ont permis au Maroc de gérer deux crises importantes sans vraiment avoir un impact sur sa stabilité.

Il faut profiter de cette crise pour accélérer un certain nombre de réformes

Son attrait reste là, la confiance du marché, mais aussi la capacité à gérer et à maintenir l’économie en marche sont le fruit de ce travail.

Maintenant ce qu’il faut, c’est profiter de cette crise pour accélérer un certain nombre de réformes : améliorer l'attractivité de l’investissement pour créer plus de croissance, accélérer les réformes qui étaient déjà identifiées comme la transformation de l’économie, la réforme du système social ainsi que la refonte du portefeuille des entreprises publiques. Cette réforme va permettre de réduire le fardeau de l’Etat et ouvrir un pan de croissance qui va attirer plus d’investissements privés.

Toutes ces mesures permettront d’accélérer la croissance. Et les politiques qui ont été mises en place par le ministère des Finances et Bank Al Maghrib vont permettre de maintenir la stabilité économique, et j’espère, graduellement, qu’on va pouvoir reprendre le chemin de la croissance et permettre au Maroc de repositionner son économie et de bénéficier de la reprise de l’économie mondiale.

- Selon vous, le Maroc doit donc poursuivre sa politique de soutien à l’économie…

L’année 2021 porte beaucoup d’incertitudes. La priorité des priorités est de maintenir le soutien au système de santé. Il faut dégager les marges de manœuvre pour pouvoir porter rapidement le niveau de vaccination à un niveau qui permettra de protéger la population et à l’économie marocaine de reprendre.

Deuxième priorité, la politique de soutien doit être maintenue dans la mesure du possible, mais elle doit désormais être ciblée. Les besoins ont changé, il faut donc s’adapter. Cette politique de soutien doit être la plus ciblée possible et être flexible pour ne pas déstabiliser les équilibres macro-économiques. Il faut de la parcimonie, du ciblage et de la rapidité.

- Dans votre dernier rapport sur le Maroc, vous avez émis un ensemble de recommandations axées sur le capital humain, comme l’investissement massif dans l’éducation, la santé, la protection sociale, ce qui nous semble un peu nouveau dans le discours du FMI… Est-ce qu’il y a eu un changement des priorités dans les politiques du FMI avec cette crise ?

Ce n’est pas nouveau. Notre approche a toujours été de dire que toute politique saine doit avoir plusieurs objectifs, pour la même finalité : la croissance inclusive. Les objectifs, c’est d’abord de maintenir la stabilité macroéconomique pour maintenir la confiance du citoyen, la confiance de l’investisseur, la confiance des marchés… Et ça se fait grâce à une gestion macroéconomique saine. C’est un préalable, d’autant plus que cela permet au secteur privé d’avoir le champ nécessaire pour pouvoir grandir.

A côté de ce préalable, il y a une urgence qu’il faut gérer et une reprise qu’il faut préparer. La reprise va s’ancrer sur un certain nombre de transformations. La technologie va jouer un rôle important, le savoir aussi. L’économie de l’environnement va être importante et elle va grandir en taille et en investissements.

Le Maroc a une jeunesse qui a du talent. Le plus important est de renforcer cette transformation en investissant dans le capital le plus productif, qui est le capital humain. Investir dans l’éducation, dans un système social moderne, dans l’inclusion financière et dans l’accès au financement pour les PME/PMI, lutter contre l’informalité positivement pour l’inclure dans le formel, renforcer le lien rural-urbain, et investir dans le rôle du Maroc sur le plan régional et international.

- Ces chantiers sociaux, comme l’éducation, la santé et la protection sociale, nécessitent beaucoup d’investissements étatiques. Comment dégager des marges budgétaires pour permettre à l’Etat d’investir massivement dans ces secteurs sachant que les recettes de l’Etat sont ce qu’elles sont ? Comment réussir ce dilemme d’investir massivement dans le capital humain par le budget tout en maintenant les équilibres macro-économiques ?

Dégager des marges de manœuvre nécessite une refonte d’un certain nombre de politiques qui permettent de renforcer le social, d’avoir un meilleur ciblage de la dépense sociale et de revoir les priorités. Dans la même enveloppe budgétaire, on peut donc développer une marge de manœuvre. C’est notre recommandation pour beaucoup de pays, y compris le Maroc.

La fiscalité, on peut l’améliorer en la rendant plus efficace, plus moderne dans sa gestion, en utilisant la technologie, et en revoyant un certain nombre de régimes spéciaux pour améliorer le niveau des recettes fiscales.

- La crise Covid a montré l’étendue de l’informel au Maroc, une problématique qui est actuellement au cœur de l’actualité avec le drame humain qui a eu lieu dans une usine clandestine de textile à Tanger. Comment régler ce problème selon vous ? Est-ce qu’il y a des expériences internationales réussies dans ce domaine dont on peut s’inspirer au Maroc ?

On est en train de faire un travail sur l’informalité au Maghreb. C’est un des éléments de faiblesse qui ont émergé durant cette crise. Il faut travailler sur les modèles qui ont réussi, comme en Inde, au Brésil, et plusieurs pays en Asie qui ont pu réduire l’informalité grâce aux nouvelles technologies.

La technologie joue un rôle important qui permet d’alléger le fardeau administratif sur ces petites et moyennes entreprises de l’informel, faciliter et simplifier les démarches et leur permettre d’avoir un plus grand accès à la finance et leur permettre de fournir une protection sociale à leurs employés. C’est un vaste chantier sur lequel on travaille et je vous garantis qu’on aura prochainement une discussion là-dessus.

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